Débat sur les débats
Compte rendu ultra-subjectif sur un sujet ultra-polémique (enfin d’après moi) - rencontres AMP en Aveyron aout 2006
Le débat sur les débats aurait dû se faire avant l'arrivée de tout le monde; mais on s’est plutôt concentré-es sur tous les points logistiques de dernière minute, ce qui fait que voilà on en parle là maintenant et ça non plus c’est pas anodin ! D’un coté ça tombe «bien» parce que comme ça cette préoccupation est mieux répartie (ce n’est plus l’affaire de seulement quelques spécialistes que le « comment » intéressent autant que le « quoi »). D’un autre coté ça tombe «mal» parce que y’en a que ça énerve de parler des mots alors qu’on n'a pas encore commencer à réfléchir ensemble… Bon, le tout c’est de prendre conscience du fait que dans une perspective non autoritaire, il est nécessaire en même temps qu’on débat d’explorer comment on le fait !
Expérimenter des rencontres !
D’abord on a voulu souligner le fait qu’on pouvait expérimenter plein de formes de rencontres.
Un cadre comme celui d’une semaine de rencontres A.M.P est idéal pour déterminer ensemble horizontalement la façon dont on se rencontre tout en l’analysant et en la critiquant et en inventant de nouvelles formes de fonctionnement non-autoritaires…
C'est essentiel de trouver des formes adaptées au fond, aux objectifs d'une rencontre: la prise de parole ne sera pas la même selon qu'on partage des savoirs, ou un vécu personnel, ou qu'on veut explorer nos comportements,nos fonctionnements collectifs ou toutes les nuances, toute la complexité d'une question ou qu'on veut faire un débat de fond,confronter des positions théoriques et pratiques ou plutôt préparer des actions communes...
Pour se donner un avant-goût de ce qui est possible, on s'est proposé d'explorer succinctement quelques formes de débat, une toute les vingt minutes, en commençant par un cercle « informel » autour d'un grand feu.
En plaçant ces rencontres sous le signe de l’expérimental, on a supposé que ça pourrait :
- . désamorcer le pouvoir des positions dogmatiques, figées, normatives, aplanissantes…
- . inciter à mieux creuser les questions au lieu d’imposer des réponses toutes faites
- . permettre à des cultures différentes de trouver un langage commun voir un terrain d’entente…
- . développer une certaine écoute de la situation qui ne soit pas bloquée sur une obligation de résultat ou une exigence de rentabilité (la recherche d’un consensus ou d’un dissensus à tout prix)
- . limiter l’auto-contrôle et favoriser les créations collectives
Il n'y aura pas de débat sur « le débat sur les débats » parce que c'est pas la peine...
Lorsqu'on choisit une forme (comme lorsqu'on s'accorde sur une règle de jeux ), il faut lui laisser sa chance, ne pas la condamner trop rapidement sur la base d'a-priori négatifs.
Maintenant asseyons nous dans un dôme et explorons, analysons et critiquons la forme la plus en usage dans les conférence A.M.P (un-e modérateur-ice (1), un-e preneur-euse de notes (2), un-e donneur-euse de tour de parole (3), un-e gardien-ne du temps (4)... et tous les signes manuels qui vont avec (5)...)
(1) ille se préoccupe du bon déroulement de la réunion, qu'on reste bien dans le sujet voire dans l'ordre du jour qu'on s'est donné au départ, fait des petites synthèses quand c'est nécessaire, s'assure que personne n'est paumé et connaît les "règles du jeu"...
(2) note ce qui se dit, les idées développées, les décisions prises, les engagements de chacun-e pour après la réunion...le compte-rendu sera ensuite disponible pour tout le monde.
(3) comme son nom l'indique...
(4) se préoccupe de la durée décidée en amont pour cette réunion, et intervient si on s'attarde trop sur un sujet, pour que tous les points à l'ordre du jour puissent être traités, ou vers la fin pour rappeler le temps restant.
(5) par exemple, agiter une ou les deux mains pour signifier l'accord, lever les deux index pour demander une réponse directe, faire un L avec une main pour une demande de traduction ou d'éclaircissement, faire un T avec les deux mains pour demander une "pause technique"...
Pourquoi se donner des règles ?
Le fait de se donner des règles de fonctionnements et/ou de discussions c’est une façon de questionner nos manières de communiquer, de vivre ensemble…
C’est entre autre pour éviter de partir sur des contrats tacites qui laissent la place à toutes les formes de dominations implicites.On considère que les formes soit disant « informelles » ne sont que des formalités inavouées (et le plus souvent totalitaires)…
Oui mais
- . ça « neutralise les affects », certaines émotions ne peuvent pas être exprimer. « Une bonne engueulade sans intermédiaire c'est des fois plus direct! ».
- . ça entrave la spontanéité, on peut oublier ce qu'on voulait dire, ou se sentir frustré-e de ne pas pouvoir réagir immédiatement.
- . quand on prend la parole, on la prend pour longtemps parcequ'on veut tout dire, parfois répondre à plusieurs questions ou continuer plusieurs conversations en même temps et ça c'est fatiguant...
- . ça n'empêche pas les grandes gueules de l'ouvrir tout le temps.
- . ça n'empêche pas le manque d'écoute: y a souvent des répétitions du fait qu'on pense à ce qu'on va dire plutôt que d'écouter ce que dit l'autre.
- . ça instaure un rythme difficilement soutenable voir carrément chiant...
On tente maintenant de creuser la question sous la forme des « spoke council » : on forme des petits groupes qui discuteront entre eux pendant un temps déterminé, puis un retour se fait en pleinière par un-e représentant-e de chaque groupe, éventuellement assisté-e de son groupe. Les petits groupes peuvent tous traiter la même question (comme ici ) ou traiter chacun d'un aspect différent de la question. Notons que se donner des formes de débats pour parler de la pertinence de ces formes de débat est un exercice assez périlleux...
Chasser le « naturel » (...)
Le formalisme est un outil pour favoriser l'auto-organisation horizontale qui peut/doit sans cesse être remis en question.
Si on savait « spontanément » s’écouter, clarifier nos positions, permettre à tous-tes de s’exprimer, se relayer, comprendre les enjeux d’une discussion et se donner les moyens d’y parvenir… alors oui, c’est vrai qu’on n'aurait certainement pas besoin de déterminer quoi que ce soit avant de se parler… ça se ferait « naturellement »
Mais justement y a rien de « naturel » ! C’est comme « Dieu » ou « le Vrai » : mon interprétation va être différente selon ma culture, ma position…etc. Le « naturel » c’est un argument pour figer des rapports de pouvoir ! On assume qu'une discussion, c'est artificiel, et c'est justement l'occasion de déplacer nos réflexes, de se mettre sur un terrain toujours inhabituel: celui de la rencontre avec l'autre (souvent fortement conditionnée et parfois rendue impossible par les habitudes, les préjugés, les antécédents et les projections).
On notera au passage qu'en ayant pratiqué ces formes pendant un certain temps il devient facile de s'en passer tout en maintenant un haut niveau d'écoute et des positions claires.
Il y a un paradoxe apparent à utiliser un outil pour pouvoir s'en passer. Ce paradoxe est propre à de nombreuses méthodes de dé-conditionnement qui passent par un nouveau conditionnement transitoire souvent moins obscur et moins totalitaire que le premier (donc plus facilement démontable). Le formalisme sert aussi à visibiliser les pouvoirs de domination en jeux. Et comme pour tout outil collectif, il ne fonctionne vraiment que lorsque chacun-e s'en empare.
On arrête sans vraiment conclure parce qu'on est trop fatigué-es et qu'on est plus très nombreux-se...
Sur le sujet y a ces quelques incontournables brochures:
- Débats sur les débats Collectif
- La tyrannie de l'absence de structure Jo Freeman
- La répartition des tâches entre hommes et femmes dans le travail de la conversation. Corinne Monnet