J'ai toujours été végétarienne... malgré tout !
Les choix d'un enfant face aux dogmes de son entourage - Témoignage, mars 2010
J’ai toujours été végétarienne, aussi loin que remonte ma mémoire, et pourtant, je ne suis pas végétarienne de naissance. Ce ne sont pas mes parents qui m’ont poussée à ne plus manger de viande, loin s’en faut, et pourtant j’imagine que c’est d’eux que je tiens ce nom : végétarienne. Car j’ai le sentiment que c’est bien d’un nom qu’il s’agit, et pas d’un adjectif : contrairement à tout ce que je pense, à savoir qu’on n’« est » pas végétarien, qu’il ne s’agit pas là d’une identité, je me sens végétarienne au plus profond de mon être.
En fait, j’ai le sentiment d’être devenue végétarienne à trois moments de ma vie, et cela a façonné une grande partie de mon existence et de ce que je suis aujourd’hui.
Mes premiers souvenirs sont liés à ma première naissance végétarienne, et à ses conséquences.
Je suis née végétarienne pour la première fois à l’âge de quatre ans, c’est mon premier souvenir, ou presque.
Nous mangeons en famille, nous sommes dans la salle à manger, je revois aujourd’hui la lumière jaune, et, je ne sais pourquoi, je me rappelle particulièrement la chaise trop grande et mes pieds qui pendent dans le vide. Je revois surtout l’assiette de moules. Et oui, ça me fait presque rire à présent, la première fois que j’ai refusé de manger des animaux, c’était des moules. Je ne suis pas certaine aujourd’hui que les moules ressentent grand-chose et qu’il soit problématique de les manger, mais à quatre ans, je crois bien que le déclic a été la découverte de l’individualité de la moule ! ... Dans mon assiette, il y a une moule orange parmi les moules jaunes. Je n’arrive pas à manger, pourtant, il s’agit d’un plat que j’aime. Mes parents me demandent pourquoi. J’ai écrit cette dernière phrase spontanément mais il n’y a rien de plus faux, justement. Mes parents ne me demandent pas pourquoi je ne mange pas, ils m’ordonnent de manger. Et moi de répondre : « Mais il y a une moule orange ». J’ai répété cette phrase de nombreuses fois ce soir là, sans pouvoir l’expliquer davantage. Mais je crois bien me rappeler qu’il n’y avait plus dans mon assiette « des » moules mais « plusieurs fois une » moule, ce qui change tout. Voilà comment une intuition tragi-comique m’a rendue végétarienne : une moule est unique.
Revenons devant mon assiette. Mes parents commencent à s’énerver. Ils veulent me forcer à manger, et j’ai des hauts le cœur. Je suis effrayée, je sens l’énervement des mes parents monter, je suis sur le point de vomir, j’ai des hoquets que je comprends à peine, et mon père ne cesse de répéter : « elle veut se faire vomir, elle veut se faire vomir », d’un ton accusateur. Je ne comprends pas, et ces paroles résonnent dans ma tête, vides de sens : je ne comprends pas comment on peut se « faire » vomir. Finalement, mon père, au paroxysme de l’énervement, me soulève brusquement de ma chaise, me met une énorme fessée, et me colle dans mon lit. Ma mère, dépassée sans doute par la colère disproportionnée de mon père, vient me consoler, alors qu’enfin je pleure. Aujourd’hui encore l’intensité et la confusion des sentiments que j’éprouvais alors me saute au visage, encore plus violemment au moment où j’écris : frayeur, tristesse, injustice, humiliation et incompréhension me reviennent presque intacts vingt-sept ans après.
La relative précocité de ce refus de la viande, qui a perduré, a souvent suscité l’étonnement. Ma mère pense qu’il y a deux raisons à cela. A l’époque, ma maitresse d’école nous parlait beaucoup de la chaine alimentaire et du phénomène de la prédation. Ma mère m’a raconté que je rentrais de l’école horrifiée, refaisant le récit de la maitresse, par exemple sur la façon dont la belette plante ses dents dans le cou de sa victime. Pour ma part, je me souviens qu’à la fin de chaque journée nous avions droit au disque « La chèvre de Monsieur Seguin », et que ce récit me rendait malade, à tel point que j’avais obtenu le droit le sortir de la classe pendant l’écoute. Je crois que tout autant que le récit de la mort de la chèvre, ce qui me révulsait, c’était la délectation de mes camarades à anticiper cette fin inéluctable.
Mais c’est, d’après ma mère, le couplage de ces récits de prédation avec la mort de mon arrière grand-mère qui aurait provoqué mon refus de la viande. Selon elle, ce serait la découverte de la mort et des bêtes qui mangent le corps qui m’aurait « traumatisée ». Je ne suis pas d’accord avec cette interprétation. Je connaissais assez peu mon arrière-grand-mère, et elle m’effrayait plutôt. A la limite, j’ai pu appréhender le phénomène de la mort, et la mettre en rapport avec celle des animaux, c’est tout, et ce n’est même pas certain. Les histoires de prédation de la maîtresse ont peut être suffi à m’interroger.
Toujours est-il qu’à quatre ans, découvrant la mort et la prédation, j’ai compris que la viande c’était des animaux qui étaient vivants et qu’on avait tué, et j’ai dès lors refusé d’en manger.
Une étudiante en psycho m’a récemment dit que ce n’était pas une prise de conscience possible à quatre ans, et je pense que c’est des conneries, une méconnaissance profonde de ce qu’est un enfant, comme de dire qu’on ne peut expliquer ce qu’est la viande à une ou un enfant.
Ma mère m’a raconté qu’à tous les repas je demandais quel était l’animal qui était sur la table, et comment on l’avait tué, chose qui a failli, dit-elle, dégouter de la viande toute la famille (heureusement qu’on est passé à côté de ce drame !). Et, à chaque fois qu’il y avait des animaux sur la table, mammifères ou poissons, l’épisode des moules recommençait, parfois avec quelques variations. Je refusais de manger, mes parents essayaient de me forcer. Je cite toujours ma mère parce qu’elle seule a accepté de parler de tout ça avec moi, mon père ayant toujours esquivé le sujet ou tout bonnement refusé d’en parlé. Ceci dit, ma mère et mon père ont agi de la même façon concernant mon rapport à la viande.
Pour ce qui était de me forcer à manger des animaux, les méthodes variaient peu : gifles, et le plus souvent interdiction de quitter la table sans avoir fini ma viande. Je restais donc très souvent seule devant mon assiette. Petite, j’imaginais parfois les animaux parler dans mon ventre. Enfin, c’était plutôt les bouts de viande, qui, redevenus vivants, parlaient du fond de la prison qu’était devenu mon corps. Plus tard, je cherchais tous les moyens pour me débarrasser de la viande. J’attendais d’être seule à table pour cacher la viande dans ma serviette, lancer des morceaux derrière les meubles, ou les mettre dans ma bouche pour ensuite les jeter dans les toilettes. Si les stratégies ont eu le temps d’évoluer, c’est que cette période a duré six ans... Durant ces années, je n’ai pas le souvenir d’avoir discuté avec mes parents de cet état de fait ou qu’ils m’aient demandé une seule fois ce que je ressentais. Pourtant, ma mère m’a dit récemment qu’à l’époque elle comprenait le refus de manger de la viande (sans pour autant l’accepter bien sûr), et qu’elle avait le sentiment de faire attention pour la cuisiner de manière acceptable. Elle m’a dit aussi que je n’étais pas forcée de manger de la viande à tous les repas. Je pense pourtant qu’il s’agissait de la majorité des repas, et j’ai bien peur que, comme beaucoup de gens, elle n’utilise le mot « viande » que pour évoquer les trucs sanglants, mais pas le jambon, les poissons panés, etc. Surtout, enfant, je ne savais jamais à l’avance comment se dérouleraient les repas, si je serais forcée ou non, violemment ou non, de manger de la viande. Je me sentais impuissante et angoissée, et plus encore pendant les week-ends ou le grand cirque du repas familial imposaient de la viande, de la vraie, et qu’aucun d’entre nous ne fasse tache dans ce beau rituel.
Je faisais beaucoup de cauchemars, et j’avais peur de m’endormir, à tel point qu’après quelques années je me remémorais avant de me coucher mes pires cauchemars, en pensant je ne sais pourquoi que cela m’éviterait d’y rêver. Certains cauchemars sont pour moi aussi vivaces que des souvenirs bien réels, comme celui où les chenilles velues et toxiques du jardin se transformaient en lions et me pourchassaient dans la maison. Je ne pense pas que la majorité des gens réalise que faire manger des animaux morts par la contrainte, c’est quelque chose de très violent, en soi.
Mon refus de manger de la viande était donc considéré comme un caprice ou une déviance, à corriger. Etrangement, alors que mes parents faisaient des repas à la maison un calvaire pour moi, ils avaient demandé aux dames de la cantine de ne pas me donner de viande. Sans doute que ça aurait été impossible de me faire manger de la viande à ces moments. Les dames de la cantine voyaient ce privilège d’un mauvais œil, mais s’y pliaient, non sans faire de remarques. En y repensant, je me dis que mes parents avaient peut être peur de passer pour des personnes laxistes et laissant faire leur fille capricieuse. A l’extérieur on m’appelait donc « végétarienne », et je ne vois pas qui d’autre que mes parents auraient pu m’apprendre et me donner ce nom. Quand je ne mangeais pas à la maison, cela se passait donc plutôt mieux pour moi, mais j’étais quand même la fille pas comme les autres, et mon végétarisme était source non de discussions mais de commentaires : j’étais trop sensible, si je mangeais de la viande bien cuisinée j’allais découvrir que j’aimais ça en fait (et vlan pour ma mère, qui cuisinait plutôt bien malgré tout), j’allais finir en enfer. J’exagère un peu, le coup de l’enfer on ne me l’a fait qu’une fois, et c’était mon cousin, mais c’est drôle et cela mérite je pense d’être raconté :
- Mon cousin : Si tu ne manges pas de viande, c’est parce que tu te dis « le pauvre petit veau, le pauvre petit cochon » ? Tu es trop sensible. Et, tu sais, si tu ne manges pas de viande, tu iras en enfer.
J’ai dû alors demander des explications sur cette histoire d’enfer, mes parents ayant eu le bon goût de ne pas me farcir la tête de ces imbécilités, et mon cousin me répondit ;
- Et bien, quand tu seras morte, Dieu te demandera « Est-ce que tu as bien mangé ton jambon ? Et comme tu n’as pas mangé ton jambon gentiment, tu iras en enfer.
Je reconstitue bien sûr, mais mes souvenirs de cette conversation étonnante sont assez nets et je ne pense pas être loin.
Ce n’est que vers l’âge de dix ans que j’ai eu le droit de ne plus manger de viande, et ce que j’ai du mal à comprendre aujourd’hui, c’est que mes parents m’aient punie pendant six ans. Bien sûr, il n’y a pas eu que des punitions dans mon enfance, il y a eu aussi beaucoup de moments heureux. Mais j’ai énormément de mal à comprendre qu’ils aient persisté six années à vouloir me forcer à manger de la viande, et c’est une erreur qui m’a coûté cher. Selon eux, c’était par souci pour ma santé, et, d’une certaine façon, je veux bien les croire, mais pas durant toutes ces années. J’ai particulièrement du mal à entendre l’argument santé pour plusieurs raisons : d’abord parce c’est l’argument qui justifie selon mes parents les contraintes dont j’ai été victime, alors même qu’ils m’ont déjà dit qu’en fait ils savaient très bien que je me débarrassais en douce de la viande. Quel intérêt de me contraindre dans ce cas ? Ensuite, parce qu’ils n’ont pas vraiment pris la peine de se renseigner sur le végétarisme (en tous cas pas auprès de personnes végétariennes), ils ne m’ont pas donnée de bonnes habitudes alimentaires, par exemple ils ne m’ont jamais parlé de la complémentarité des protéines. Enfin, ces punitions répétées pendant six ans ont été source d’une importante souffrance morale pour moi, et, mes parents étant des personnes intelligentes, je pense qu’ils auraient pu mettre dans la balance le bénéfice des quelques grammes de viande qu’ils parvenaient à me faire ingérer et les souffrances morales infligées en contrepartie.
Au fond je crois mes parents n’ont tout simplement pas voulu reconnaître à leur fille le droit de faire différemment d’eux, et que pour eux, c’était une question de fierté mal placée : ils n’allaient quand même pas laisser leur enfant n’en faire qu’à sa tête, c’était quand même à eux, les parents de commander !
J’ai l’impression que c’est pour des raisons semblables que dans la plupart des cas les parents ne veulent pas laisser leur enfant manger végétarien.
Il s’agit là de ma perception des événements, et elle est sans doute très différente pour mes parents. Mon frère aîné et ma sœur cadette ont par exemple des souvenirs diamétralement opposés de tout cela. Mon frère m’a un jour violemment accusée d’avoir gâché tous les repas familiaux par mon refus de manger de la viande, me disant que par ma faute les repas étaient toujours un calvaire, et que ça avait été un manque de respect pour mon père qui rapportait le pain sur la table... En plus, par ma faute toujours, ma petite sœur était devenue végétarienne elle-aussi (grave accusation !). Un autre de mes sœurs au contraire pensait qu’à quatre ans j’étais devenue végétarienne et que ça avait été accepté ! Elle a seulement un ou deux souvenirs de repas dans la cuisine où on était consignées pour finir notre repas, souvenirs ludiques pour elle puisque complices, nous cachions notre nourriture ensemble.
Je suis née végétarienne une deuxième fois aux alentours de dix ans. Nous revenions de vacances en famille, je ne sais même plus d’où. Nous étions sur une aire d’autoroute, je marchais en équilibriste sur la bordure du trottoir, quand mon père m’a annoncé que dorénavant j’aurais le droit de ne plus manger de viande. Cette liberté nouvelle s’accompagnait d’une injonction facile : manger tout le reste, sauf les champignons (qui pour moi avaient une proximité suspecte avec la viande).
Je me rappelle de cet épisode comme d’un moment heureux, et de fait c’était quelque chose d’important, preuve en est que je me rappelle avec précision de la conversation, mais pas des vacances auxquelles elle faisait suite. Certes, avant d’en arriver là, mes parents avaient déjà lâché du lest, mais j’étais toujours soumise à leur bon vouloir, je ne savais jamais à l’avance comment, selon leur humeur, le repas allait tourner. Je me faisais toute petite, espérant, que « ça passe », c'est-à-dire qu’on ne me serve pas de viande l’air de rien, mais il pouvait encore arriver qu’ils me servent et le processus infernal recommençait. Voilà, j’étais délivrée et je pouvais voir venir les repas sans angoisse.
Pour autant, mon végétarisme était toléré mais pas accepté, dans le sens où on me laissait ne pas manger de viande, mais la contrepartie, la vraie, c’était d’accepter tacitement que j’étais déviante, un peu malade en fait. Je n’étais pas normale, mais les autres, « généreusement », me toléraient, et ma mère rappelait régulièrement qu’elle devait faire des menus différents et que c’était éprouvant pour elle. Mes parents tentaient toujours de me convaincre, ou faisaient mine de le vouloir, en me disant que ce serait très difficile pour moi socialement et professionnellement, que je ne pourrais pas manger avec mes collègues, patrons, clients. Leur argument fatidique était que je ne trouverais pas de mari, qu’aucun homme ne voudrait supporter de ne pouvoir savourer une bonne viande sans la partager. J’imagine que pour mes parents cela constituait une bonne blague, mais cela m’inquiétait et me confortait dans l’idée que je n’étais pas normale.
Cette deuxième période végétarienne a duré très longtemps, dix-neuf ans en fait. Elle a duré dans le sens où, si j’avais « réussi » à faire accepter mon refus de manger de la viande, j’avais intégré les idées de mes parents, et je pensais comme une personne omnivore. Maintenant, je me demande presque si je peux considérer que j’étais végétarienne. Je ne mangeais pas un gramme de viande, et ne supportais pas que ma nourriture touche, même indirectement, de la viande. Mais je considérais que c’était là le résultat d’une sorte de traumatisme, quelque part un refus d’accepter la vie (interprétation de ma mère). D’ailleurs, comme j’avais développé des troubles du comportement alimentaire (type anorexie- boulimie), cela me confortait dans l’idée que j’avais un problème avec la nourriture. Ce n’est que récemment que j’ai réalisé que si j’avais eu de tels troubles, c’était sans doute parce que j’avais été punie lors de la majorité des repas pendant six ans de mon enfance, et, depuis que j’assume mon végétarisme, ces troubles ont quasiment disparu. Je m’excusais presque auprès des gens de ne pas manger de viande, il m’est arrivé d’en cuisiner pour les autres, et j’ai même essayé –sans succès- d’en remanger, persuadée que j’allais tomber malade. Je ne suis pas parvenue une seule fois à mettre des animaux ne serait-ce que dans ma bouche, et je me disais que ma « maladie » était incurable. A cette époque, il m’arrivait quelquefois de penser que mes parents auraient pu s’y prendre de manière plus subtile et moins violente pour me faire manger de la viande, mais jamais de considérer qu’ils avaient eu tort de vouloir m’en faire manger. Aujourd’hui cela me paraît invraisemblable, et je me demande comment j’ai pu vivre toutes ces années sans chercher à en savoir plus sur le végétarisme, je me dis que j’ai été un peu idiote, même si cela s’explique sans doute par mon histoire.
Ma troisième naissance végétarienne a eu lieu lors de ma vingt-neuvième année. Elle a été préparée par une rencontre fortuite avec des végétariens et végétaliens militants, lors de vacances. Je n’étais alors pas d’accord avec eux, je les trouvais « extrémistes », mais, après cette rencontre, j’ai cherché à rencontrer d’autres personnes végétariennes, vers chez moi. De là, tout est allé très vite. Ça a changé ma vie de rencontrer d’autres personnes comme moi, et j’ai réalisé que je n’étais pas anormale, que j’avais même raison ! J’ai développé un discours construit sur le végétarisme, et suis devenue une végétalienne militante. Cela a été une incroyable renaissance pour moi, et encore, ces mots sont faibles en comparaison avec ce que j’ai ressenti. La seule chose qui est problématique pour moi aujourd’hui est ma relation avec mes parents. Ils ont considéré ma transformation en végétalienne militante un peu comme un drame, un risque de déchirer la famille, une déviance de plus, une preuve que je dois être malade moralement ou du moins éprouver un profond mal-être. Au début, j’avais du mal à comprendre comment ils ne pouvaient pas voir que j’étais bien plus heureuse, et pourquoi le végétarisme récent de mes amis était mieux accepté par leurs familles que par la mienne, alors qu’au bout de vingt-six ans, ils auraient pu s’y faire ! Cela me paraît finalement évident : si mes parents acceptaient à présent que le végétarisme est un choix rationnel et légitime, ils devraient accepter du même coup que le fait de me forcer à manger de la viande enfant était une erreur. Mon végétarisme militant remet en question le dogme familial selon lequel mes parents ont tout fait pour qu’on ait une enfance heureuse, sans parler de la végéphobie ordinaire des gens qui ne veulent pas remettre en question leur alimentation. J’aimerais que mes parents reconnaissent que mon végétarisme est un choix rationnel et honorable, voire qu’ils acceptent de parler de mon enfance. Un souhait illusoire sans doute est de les entendre reconnaître qu’ils auraient pu agir autrement, que ça aurait été mieux pour moi. Mes parents, eux, voudraient que je reconnaisse que mon végétarisme est une déviance et qu’ils n’ont pas à se remettre en question. Pour l’instant nous ne communiquons plus, mais peut être qu’à l’occasion d’une quatrième naissance végétarienne, les choses changeront ?
Ce récit, propre à mon histoire et ma famille, ne reflète pas, je l’espère, la majorité des situations des enfants végétariens. C’est en même temps un cas particulier, et en même temps quelque chose de très banal. Je sais que la plupart des enfants qui voudraient ne pas manger de viande ne sont pas respectés dans ce souhait, et je pense important de réfléchir à ce qu’on pourrait faire pour eux, car comme je l’ai dit déjà, manger des animaux sous la contrainte, c’est déjà une violence.
De manière plus générale, il faudrait qu’on considère les enfants comme des êtres capables de raisonner et de faire des choix, et, si c’est un problème qui dépasse largement le cadre du végétarisme, c’est une question d’importance pour les militants des droits des animaux. En effet on n’ose pas approcher les enfants pour parler de cela, et si, on le faisait, on serait bien sûr accusé de prosélytisme auprès d’enfants sans défense. D’ailleurs, les gens me font souvent des procès d’intentions au sujet d’hypothétiques enfants que je maltraiterais en les privant injustement de bonne viande...