La pédagogie de la Mouche

Bernard Collot - Extrait du livre «Une école du troisième type ou la pédagogie de la mouche»

une autre version en ligne ou sur le site de l'auteur


Une pédagogie à travers le périple d'une mouche

"Les êtres vivants sont des lieux d'échanges, ils sont essentiellement dépendants de leurs échanges... Si vos échanges s'arrêtent, vous régressez dans l'échelle de complexité, vous n'êtes plus qu'un ensemble de molécules. Hubert Reeves, "l'Heure de s'ennivrer"

En ce début d'année scolaire, à plusieurs reprises, on m'a demandé :" Mais qu'est-ce donc cette soi-disante pédagogie de la structure et de la communication ? Et comment tu fais ?" La question piège ! Je ne sais pas très bien comment je fais ! et pourtant, au fur et à mesure que les années passent, je sais bien que je ne fais pas n'importe quoi, je commence même par en être sûr ! Qu'est-ce qui détermine chacun de nos actes pédagogiques, tout au moins les miens? Alors, en cette belle journée de pré-rentrée, par la fenêtre ouverte, bzzzzz... j'ai découvert que j'essayais d'organiser ma classe suivant la pédagogie ... de la mouche!

Et c'est assez simple, il suffit .... ou plutôt il faut ...

Il faut qu'une mouche puisse rentrer dans la classe, éventuellement se poser sur une vitre (1).

Il faut qu'un enfant puisse éventuellement la voir, éventuellement la regarder (2).

Il faut qu'il puisse, éventuellement, s'en approcher (3), poser son menton sur sa main et partir sur son dos à travers des nuages verts.

Il faut qu'il puisse, éventuellement, lui parler, lui chanter ou aller chanter la chanson de la mouche au magnétophone, aller à l'atelier peinture peindre le voyage avec la mouche ou, dans un coin tranquille (4), écrire un poème de mouche, et, pourquoi pas, écrire à la mouche.

Il faut qu'il puisse, éventuellement, attraper la mouche, la mettre dans une boite et la cacher dans son bureau, ou lui arracher une aile pour voir si une mouche avec une aile, ça vole (5).

Il faut qu'il puisse, éventuellement, amener sa mouche jusqu'au lavabo, boucher le lavabo (6) et la poser sur l'eau pour voir si les mouches, ça nage.

Il faut, qu'en route, il puisse, éventuellement, croiser une petite copine ou un petit copain (7), que celle-ci ou celui-là puissent, éventuellement, mettre une brindille dans le lavabo pour voir comment on peut sauver des mouches de la noyade.

Il faut qu'il puisse, éventuellement, emmener sa mouche à l'atelier sciences (8) pour la regarder avec une loupe, y rencontrer une autre copine qui aura peut-être l'idée de regarder des yeux de mouche au microscope, y trouver dans un fichier une fiche qui aide à mieux regarder les mouches, y arrêter un copain pour qu'il lui lise le mot qu'il ne comprend pas, dessiner des yeux de mouche, des pattes de mouche dans le classeur de l'atelier (9), aller jusqu'à la bibliothèque trouver dans l'encyclopédie des mouches bleues, des mouches tsé-tsé, ou, dans les livres de poésies, des mouches roses ou des mouches du coche.

Il faut qu'il puisse, éventuellement, cacher sa mouche dans une boite d'allumettes pour la mettre dans son bureau et lui parler quand il veut, ou rencontrer le maître qui pourrait, peut-être, l'aider à installer une belle maison mouche dans le vieux vivarium oublié dans un placard depuis qu'il avait hébergé une colonie de grillons (10).

Il faut qu'il puisse, éventuellement, parler de sa mouche à ses copains au cours de la réunion, où, peut-être, certains lui parleront aussi de l'araignée qu'ils savent tapie derrière l'armoire, où, peut-être, d'autres lui demanderont de voir SA mouche, où, peut-être, d'autres lui proposeront d'élever des mouches et de construire un grand élevage de mouches, où, peut-être, d'autres lui signaleront, qu'un jour, un autre d'une autre école avait fait un grand article ou un petit poème, dans leur journal, sur les mouches.... il faudra qu'il puisse, éventuellement, retrouver ce journal, peut-être écrire à l'autre copain des mouches, (11).....

Il faut, éventuellement, qu'un autre puisse lui dire qu'une mouche peut avoir mal quand on lui arrache une patte, que d'autres puissent, peut-être, assister et participer à la discussion sur les pauvres mouches, peut-être l'enregistrer, envoyer le débat sur la torture des mouches à d'autres, recevoir leur avis ...

Il faut, éventuellement, qu'il puisse aller s'installer dans un coin, et, délicatement sur une page de cahier, inventer les pattes de mouche.

Il faut qu'un autre, éventuellement, puisse lui proposer d'aller dehors inventer le jeu de la mouche. Où bien qu'ils puissent aller à l'atelier son enregistrer la mouche ... ou chanter la mouche. Qu'ils puissent inventer la musique de la mouche, la danse de la mouche, la fête de la mouche ... (12)

Il faut qu'il puisse, éventuellement, dire à d'autres enfants d'autres écoles que sa mouche a d'extraordinaires yeux bleus, ou un beau nez en trompette ... et, peut-être, former une équipe de chercheurs sur les mouches (13).

Il faut qu'il puisse, éventuellement, sans rien dire à personne, écraser la mouche ....(14)

Moussac, Septembre 1993


Notes :

(1) On peut s'arranger pour que, dans une classe, il n'y ait pratiquement ... aucune information non-contrôlée ou non prévue. Rien qui ne puisse troubler l'ordre, ce que l'on prend pour la quiétude. 2 choses sont nécessaires :

  • une salle soigneusement vide, propre, aseptisée de tout élément non scolaire. Le "scolaire", que ce soit pour n'importe quel manuel ou objet, est caractérisé par son aseptisation totale de façon à ce qu'il soit absolument inoffensif pour l'ordre établi et le programme prévu.
  • Un ordre rigoureux, c'est à dire soigneusement pensé à l'avance par le maître et que rien d'autre ne peut venir déranger parce que cet ordre doit être rempli d'"activité" incessante... de telle façon qu'aucune mouche n'ait de place possible.

La thermodynamie dans la pédagogie :

Dans une classe, autour de l'enfant, la masse de l'information à disposition de l'enfant, est illimitée, même quand le maître a fait des efforts désespérés pour qu'il n'y ait rien qui vienne troubler .. son programme, LE programme (quel vilain mot qui vous fait fait la bouche en cul de poule ou en cul de mouche!). Mais, comme les gouttes de l'océan d' Hubert Reeves ("L'heure de s'ennivrer - l'univers a-t-il un sens"), elles sont complètement inutiles lorsque l'ordre maximum règne dans le groupe. Comme vous le dirait peut-être Hubert, autour du groupe, l'entropie est maximum mais à l'intérieur du groupe elle est nulle. Le groupe n'est pas vivant. Il n'évolue pas. Si l'on coinçait les enfants jours et nuits (on n'en est pas loin!) dans leur classe, ce serait rapidement la mort intellectuelle.

Il va falloir qu'un certain désordre puisse apparaître dans le groupe pour que celui-ci se complexifie un peu et puisse alors se servir de l'information extérieure (la mouche !) ... qui accentuera le désordre en complexifiant en même temps un peu plus le groupe, donc un recréant de l'ordre. (tu suis ?) Mais la complexité croissante permet alors de se nourrir d'autres informations, c'est à dire d'autres mouches ou moustiques... et la complexité du groupe et des individus s'accroit .... du nouveau désordre et un nouvel ordre se créent sans cesse ... la diminution de l'entropie de l'extérieur est pratiquement nulle, celle de l'intérieur augmente en même temps que s'accroit la complexité, l'individu et le groupe évoluent.

Tout le problème va tourner autour de l"ordre originel" et du "certain" désordre qu'il va falloir non seulement permettre, mais provoquer. Se dire donc que l'ordre, magistèrement instauré, n'a aucune raison pédagogique d'être sauf celle d'être bousculé à la première occasion venue.

Vous ne suivez plus ? alors, suivez ma mouche, et vous verrez le second principe de la thermodynamie !


(2) C'est le début de la subversion. Etre maître de son regard. "Baisse les yeux mais ne les détourne pas des directions que je te donne" a été la clef de l'enseignement. "Reprenez votre regard" est encore une phrase révolutionnaire à afficher partout. Il va falloir que les enfants reprennent leur regard ... ou que j'arrive à le leur rendre. Ce n'est pas écrit dans les livres de pédagogie. Mon comportement n'est pas dans les livres et pourtant c'est lui seul qui va pouvoir aider chacun à retrouver ce qu'une culture lui a enlevé. Et oui, nous vivons sous la culture du regard dirigé, du regard officiel, du regard conforme ... du regard cultivé ! Ce n'est pas une boutade : je me suis souvent demandé pourquoi il était si difficile, malgré les super-méthodes pédagogiques ou autres psy...gique, qu'enfants, adolescents et adultes se libèrent, s'assument, grandissent.

Peut-être est-ce parce que je suis assez inculte que j'accuse ainsi la Culture ......


(3) Les déplacements physiques sont essentiels. Je suis certain que le simple fait de se déplacer vers une information déclenche une série de processus qui nous échappent. Il faut les rendre possibles, normaux, les favoriser au maximum. Avant la classe (organisation préalable de l'espace) pendant la classe (gestion de l'espace et complexification de la structure)


(4)"Coin tranquille" TRANQUILLE. Où, dans une classe, une école, une HLM, une ville ... un enfant peut-il être un moment tranquille ? sans personne autour de lui ? pour pouvoir rêver, construire ses langages, être LUI sans pressions ? Plus la "civilisation" pèse, moins existent ces lieux possibles où on peut n'être que soi. Ils sont même interdits à l'école : sous prétexte de "sécurité" (quel mot aussi vilain que programme, mot qui blesse, qui, agresse, qui saigne) il est dit que l'enfant, pardon, les élèves, doivent toujours être sous l'oeil du maître ! même pas d'un autre adulte : DU MAITRE ! C'est la surveillance permanente pour que l'enfant n'échappe surtout pas à l'oeuvre ...civilisatrice !


(5) J'entends déjà les amis des animaux fustiger les arracheurs d'ailes. Faut-il, entre la mouche et l'enfant, qu'il y ait la morale ? Affreuse morale qui aveugle et laissera ensuite arracher des bras d'enfants ... en s'offusquant de loin. Mais, à côté de mon enfant et de sa mouche, il y aura peut-être d'autres enfants ou d'autres adultes à qui arracher une aile de mouche fera mal, et qui le diront, et, peut-être que l'enfant se construira alors sa morale qui fera que, plus tard, peut-être, il ne se contentera pas de fustiger de loin les arracheurs de bras.


(6) Quels monstrueux désordres une simple petite mouche peut causer lorsque l'ordre initial a été rompu ! Et, dans l'ordre initial, l'entropie de notre lavabo est maximum : ses informations sont inutilisables ! Mais si vous agissez en dehors de l'ordre initial, si l'enfant peut aller jusqu'au lavabo en dehors de l'ordre scolaire, s'il peut se permettre de boucher le lavabo, s'il peut effectivement boucher le lavabo, alors la masse illimitée d'informations que contient le lavabo devient utilisable et l'enfant se met alors à les réorganiser, et sa propre complexité se met à croître .... et, un jour, tu trouveras étonnant qu'il se mette à lire, et tu auras cru que c'étaient tes belles leçons de lecture parfaitement "ordonnées" .... et en réalité, cela aura été le lavabo ... qu'il aura pu boucher ! Tu me diras que, pour boucher le lavabo, il aura fallu qu'il soit déjà diablement complexifié ! heureusement qu'il lui reste un peu de temps avant et après l'école !


(7) Dans l'océan des possibles, il doit y avoir la mer des rencontres avec les autres. Une infinité de chemins doivent pouvoir se croiser. L'importance de ces rencontres est capitale. Elles sont et doivent être incessantes.

Ce sont par elles que l'enfant progresse, et si moi, l'adulte, je veux lui être utile et progresser moi aussi, ce ne sera QUE si moi aussi je le rencontre. Il m'est arrivé de me rendre compte, à la fin d'une journée, que je n'avais "rencontré" aucun enfant. J'avais dirigé, organisé, corrigé, planifié, animé, pédagogué ....

Ces rencontres, cette permission des "possibles", c'est peut-être ce point qui nécessiterait la plus grande formation, la plus grande sélection (je n'ai pas peur du mot) pour trouver des adultes aptes à devenir enseignants. Maurice Berteloot a parlé de "la conduite cybernétique des groupes". cela fait un peu technocratique, et pourtant c'est peut-être bien ce terme qui définirait le mieux ce que doit être l'enseignement d'aujourd'hui ! Un groupe fait d'une infinie complexité de liaisons.


(8) Il s'agit bien d'un atelier, un espace avec des outils spécifiques. On n'y "fera pas une activité", on y traitera des informations. Que l'enfant sache qu'une mouche a 6 pattes ou des yeux à facettes n'a strictement aucune importance. Je répète : N'A STRICTEMENT AUCUNE IMPORTANCE ! Les connaissances en elles-mêmes n'ont AUCUNE importance. Elles ne seront que des CONSEQUENCES d'une construction de la personne, des capacités d'appréhender un environnement, appréhender des informations, les transformer, les coder, les traiter, les comparer, les transmettre .... Pourquoi n'est-ce toujours pas évident ? pourquoi sommes-nous si omnibilés par les connaissances ? Et surtout par leur acquisition programmée, compartimentée, codifiée, dirigée, contrôlée .. alors que toutes les études sérieuses ont démontré que l'énergie dépensée pour ce faire était de plus inutile à 99%. Je sais bien que la question est d'ordre ... politico-socio-philosophico-religieux ! mais tout le monde fait semblant de croire qu'il s'agit de pédagogie !

pauvre enfant, pauvre homme !


(9) Dessiner c'est décortiquer, transformer, triturer une information, en extraire d'autres informations ou en créer ... c'est d'abord fait pour celui qui dessine, comme écrire est d'abord fait pour celui qui écrit. Les langages servent d'abord à ceux qui les utilisent, c'est bien pour ça qu'il faut d'abord que cela soit le leur propre, même si les autres ne le comprennent pas.

Ensuite, ils vont peut-être permettre de recevoir des autres... si les autres comprennent, si le code est à proximativement le même. Lorsqu'il est plus ou moins "normalisé", c'est à dire lisible par d'autres, il doit alors être disponible aux autres, d'abord pour pouvoir bénéficier de leur apport. Si on n'avait aucun intérêt à communiquer, on ne communiquerait pas !

Il faut donc créer des carrefours où des traces pourront être déposées pour être visibles par d'autres, créer une dynamique qui fera que chacun saura que les traces des autres pourront lui rendre service et que les autres pourront lui rendre service s'il laisse des traces. Je me suis toujours demandé quelle pouvait bien être l'utilité des divers cahiers dont on ne cesse d'embarrasser bureaux et cartables. Ils en ont bien une : remettre l'ORDRE, mais pas celui que pourra se créer l'enfant, celui du maître, celui de la norme qui empêche l'enfant de construire et d'utiliser le sien.

Réorganiser sans cesse SES informations, c'est la connaissance, c'est la seule voie vers la connaissance. Subir un ordre qui n'est pas le sien, c'est l'anti-connaissance, c'est l'impossibilité d'atteindre la connaissance. Combien l'essence même de l'écrit a été dénaturée, voire détruite, par les obligations de cahiers vides de sens.


(10) Les mouches et les moustiques, les rires et les pleurs, les rêves et les évennements, si on les accepte, si on les laisse cheminer dans notre univers, vont sans cesse provoquer des modifications de l'espace, de l'environnement direct. Ils vont eux aussi se complexifier. Et au fur et à mesure qu'ils vont se complexifier, ils vont à leur tour produire d'autres évennements, d'autres rêves, d'autres informations .... Il va falloir que l'adulte de la classe se prépare à agir sans cesse pour que cet espace s'adapte sans arrêt aux mouches capturées par des enfants !


(11) La mouche de la vitre va laisser des traces. Celles que l'enfant aura inscrites au fur et à mesure de son vécu avec la mouche, aussi bien dans sa mémoire que dans celle collective du groupe, aussi bien dans ses neurones que sur divers supports.

Et la classe devient le lieu d'innombrables intersections de traces. Et ces traces, c'est bien autre chose que des cahiers inutiles ! Et c'est aussi en découvrant peu à peu ces intersections, en les maitrisant, en les réorganisant, que, non seulement il continue sa construction, celle de ses outils, mais en même temps acquiert le pouvoir de la connaisance. Pour la connaissance elle-même, il n'aura plus besoin de nous !


(12) Réconcilier mythe et réalité. Gloria Kirinus (Brésil) a inventé "la conspiration du réenchantement" ("Modernité et post-modernité"). Pouvoir réinventer ses propres mythes, pouvoir franchir allègrement le pont de la réalité à l'enchantement et de l'enchantement à la réalité. Les langages ne peuvent faire l'impasse de cette dimension puisqu'ils en proviennent probablement. Et moi aussi, enseignant, je ne peux en faire l'impasse dans ma pratique. Et cela va m'être difficile :

D'abord parce que, dans le groupe, je suis celui qui est le plus civilisé, celui qui a fuit le plus, à la fois le mythe et la réalité. Les 2 m'angoissent. Le premier peut-être parce qu'il me fait remonter dans ma naissance, retrouver des pistes manquées, retrouver un devenir qui n'a pas été .... Le second parce que je vis dans un monde que j'ai contribué à construire et qui n'a plus de réalité : la provenance du morceau de pain sur ma table, celle des enfants mourant de faim, des bombes écrasant telle ou telle population ... n'ont pas plus de réalité que les traces qu'elles ne laissent même pas dans ma poubelle ou sur un écran cathodique.

Ensuite parce qu'il est plus facile de "maîtriser" (encore un épouvantable mot !) le nombre de pattes de la mouche que de laisser partir sans contrôle l'enfant sur le dos de la mouche. D'autant que je pourrai toujours me prévaloir de lui avoir fait acquérir la connaissance "6 pattes" alors que le voyage sur le dos de la mouche .....

Ce voyage, il le fera peut-être. Si je peux l'utiliser pour aider l'enfant à le communiquer, tant mieux, mais j'aurais tendance à considérer l'utilisation (par exemple le texte qui peut en résulter) comme importante alors que cela aura sûrement été le voyage lui-même. D'où la probable nécessité d'aider d'abord à ce que les voyages aient lieu bien avant qu'ils ne soient traduits ou utilisés à des fins hautement pédagogiques.


(13) On va plonger l'enfant dans l'Europe... A la sortie du ventre de sa mère, il a eu quelques mois pour entrer en contact avec elle et un langage plus codifié, un peu avec un père ou une soeur, ... il comprenait juste qu'il appartenait à un tout petit groupe fait de relations qui étaient indispensables à ce petit groupe et à sa survie. Puis, on l'a vite plongé dans une école maternelle, brutalement au milieu de 50, 100, 200 autres apprentis de la vie, aussi malhabiles, aussi angoissés que lui, aussi démunis pour un environnement presque fait uniquement de relations (surtout si les mouches y sont insecticidées !).

Arrivé à l'estampille "adulte", hop, c'est avec la planète qu'il faut qu'il se débrouille : il est supposé apte à saisir cet espace, à s'y mouvoir, et même à pouvoir vivre avec tous les occupants en percevant que chacun est nécessaire à l'autre. Et comment ? et bien par magie ! par la simple incantation ! et de s'étonner qu'ensuite cette planète s'auto-détruise en tueries mutuelles ou en suicides collectifs ! Où pourra-t-il, aujourd'hui, peu à peu, relier son être aux autres en dehors de l'école ?

Les hommes se sont dotés d'appendices qui font que le cercle de chacun peut parfaitement s'étendre à la planète, qui avec les autres peut parfaitement tisser des liens qui agrandissent la famille, la tribu, en des communauté de plus en plus grandes ou, avec chacune d'entre elles, contribuer à ce que les liens s'interpénètrent de plus en plus pour former ce qu'on a appelé "humanité" mais qui n'est, jusqu'à maintenant, qu'un ersatz qui profite à quelques maniaques ou une minorité de privilégiés. Il n'y a plus que l'école où le futur homme puisse commencer à se réapproprier les outils qui feront que les groupes d'hommes existeront à nouveau ... ou enfin ! C'est pourquoi il est si important que, PEU à PEU, ses cercles s'étendent et, à un moment, dépassent celui de la classe, qu'ils se "connectent" à d'autres cercles et que les relations qui vont alors exister lui soient alors aussi utiles que nécessaires ... mais qu'il en soit constamment l'élément ACTIF, LIBRE.


(14) "Les possibles se bousculent au portillon du réel ; la queue est immense; l'espoir est infime pour chacun de participer un jour au réel" (Albert Jacquard, "Inventer l'Homme". ).

C'était à propos de l'apparition d'un brin d'ADN, c'est à dire de l'apparition, puis de la complexification de la vie. Que nous soyons aux confins de l'univers, ou que nous soyons ... dans notre classe, la construction de la vie (du réel) obéit à cette loi. La construction de chaque individu continue à dépendre des possibles dans lesquels il évolue ... et de la strcuture dans laquelle il y aura plus ou moins de chances que quelques-uns de ces "possibles" puissent participer à son "réel".

Tout notre travail d'adulte, dans un espace où tous les jours il y a des enfants en construction, ne serait-il pas que celui-ci : permettre à ce que parmi tous les possibles, il y en ait un ou deux qui aient UNE chance d'être utiles à UN enfant et que CHAQUE enfant ait LA chance de pouvoir se servir d'un ou deux possibles ? retour dans le texte