La place des enfants

Texte écrit pour contribution au cahier de doléances des états generEux pour l'enfance


Le groupe "L'enfance buissonnière" s'attache depuis quelques années à ranimer des questionnements qui faisaient débat dans notre société il y a à peine 40 ans. Nous avons pour ambition de continuer ce travail de problématisation de la notion même d'enfance dans la lignée de penseurs tels que l'écrivaine Christiane Rochefort, le philosophe René Scherer, la sociologue Christine Delphy ou encore le pédagogue américain John Holt, et ce sous plusieurs angles d'approche : sociologique, philosophique, ethnologique..., dans plusieurs champs concernant les enfants : l'éducation, la famille, la justice...

Nos activités sont pour l'instant principalement tournées vers la construction d'une réflexion commune, propre à soutenir des actions politiques de transformation sociale. Nous produisons et diffusons des écrits, et nous organisons des rencontres ouvertes à tous, adultes et enfants, lors desquelles nous inventons et expérimentons des prolongements concrets à nos questionnements.

Le point sur lequel nous voudrions attirer votre attention par ce texte est un phénomène révélateur de la place des enfants actuellement dans nos sociétés. Il s'agit de la restriction de plus en plus forte des espaces et des temps pendant lesquels les enfants et les adolescents ont la possibilité de se retrouver seuls, entre eux, sans adultes et sans projet adulte sur le dos.

Ces temps de rassemblement sont considérés de façon de plus en plus négative. Ils sont vus au mieux comme des temps d'oisiveté, improductive donc inutile, au pire des temps où se fomentent les actes délinquants. Les espaces dans lesquels les enfants et les adolescents se retrouvent voient leurs accès de plus en plus restreints. Nous ne voulons pas parler ici d'un déficit, certes réel, de structures adaptées à l'accueil et aux activités des jeunes, comme les MJC, mais de l'intolérance à leur présence au sein même de l'espace public, de façon non organisée par les adultes : hall d'immeubles, rues, parcs, etc...

Il y a selon nous une double peur qui se joue dans cette restriction : la peur des enfants et la peur pour les enfants.

La peur des enfants, plus communément des adolescents et pré-adolescents, n'est malheureusement pas nouvelle. Les "bandes de jeunes" sont depuis longtemps un objet de crainte pour les adultes. Ce qui est un fait nouveau, c'est qu'on les stigmatise à ce point. D'un mal vu comme nécessaire et inévitable ("il faut bien que jeunesse se passe"), elles sont devenues un mal à combattre voire à éradiquer, loi à l'appui, comme par exemple la création du délit d'occupation de hall d'immeuble en 2003.

La peur pour les enfants elle non plus n'est pas nouvelle, mais elle nous semble aujourd'hui bien plus importante - à la mesure de l'augmentation de la peur générale dans nos sociétés. Il y a une volonté de plus en plus forte et de moins en moins questionnée de quadriller tous les espaces-temps habités par les enfants, de façon à ce qu'ils ne soient jamais confrontés à de l'inconnu, à de l'imprévu qui n'ait été prévu par les adultes en charge de leur vie : parents, éducateurs, animateurs…Tout manquement à ce quadrillage est vu comme une négligence de la part des adultes responsables des enfants.

Ces deux peurs se rejoignent, quand il s'agit par exemple d'occuper à tout prix les jeunes qui passent du temps dans la rue. La peur de ce qu'ils pourraient faire, de la simple bêtise à la pire délinquance, se mêle à la peur de ce qui pourrait leur arriver ou de ce qu'on imagine qui leur arrive déjà : perte de ce temps pendant lequel ils ne font rien qui nous apparaisse intéressant et où s'échangent des valeurs qui nous échappent ou que nous jugeons négativement. N'importe quelle activité encadrée par les adultes sera vue comme plus positive que ce temps passé entre eux, ce temps de tous les dangers. N'importe quel lieu prévu pour eux sera vu comme plus positif qu'un lieu non désigné à leur usage.

Dans une mise en problématique de l'enfance où les questions remplacent les certitudes, quel que soit leur bord, le fait que les enfants n'aient plus accès à des espaces et des temps en dehors des adultes nous semble très préoccupant. Considérer que ces espaces-temps sans adultes sont à bannir, cela revient à penser que l'on a forcément raison dans nos façons de nous conduire envers eux, dans les projets que nous avons pour eux, cela revient à penser que nous seuls savons ce qu'il faut pour leur vie. Laisser aux enfants la possibilité de mener eux-mêmes leurs activités, leurs paroles, leurs mouvements, ne serait-ce qu'en pointillé, c'est au moins reconnaitre leur entière présence au monde et le droit absolu qu'ils ont à y vivre sans médiation imposée.

Nous pensons que ces espaces-temps sont le pendant nécessaire à notre position toute puissante d'adultes ; ils sont une condition fondamentale à une émancipation toujours en devenir des enfants.

Le cœur de la problématique posée ici est la peur ; la réponse toute faite à cette peur, cest la protection. Protection des jeunes face aux dangers de la société, protection de la société face au danger des jeunes. C'est cela qu'il nous paraît urgent de questionner, individuellement et collectivement. Car aucune évolution profonde ne pourra se faire tant que ces peurs seront à l'origine des mesures prises pour les jeunes.

Relancer le débat sur la place sociale des enfants et élargir leurs possibilités réelles nous semble la bonne voie à prendre pour combattre cette peur, et pour dépasser les politiques frileuses de protection que les enfants s'arrangeront toujours pour déborder - nous l'espérons.

NadIne Gardères pour L'enfance buissonnière, mai 2010

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