La place des enfants dans la societe et les droits personnels des mineurs
Pierre Lenoel - diffusé sur le site web de Jean-Pierre Rosenczveig
La question des droits de l'enfant fait aujourd'hui l'objet de nombreux débats, voire de revendications. Beaucoup de nos contemporains pensent qu'il s'agit là d'une préoccupation caractéristique de notre temps. Ils ignorent souvent quelles sont les principales dispositions du Code Civil en la matière, c'est pourquoi, il m'apparaît utile de refaire l'historique de cette question, avant de préciser sur quels points il importerait d'améliorer ou de compléter la législation actuelle.
Rappels historiques
Dans cette première partie, je voudrais m'efforcer d'esquisser une sorte de panorama de la manière dont, à travers les siècles, s'est opérée l'articulation entre les représentations sociales de l'enfant et la traduction de ces représentations dans le droit. C'est dire que ce survol historique sera centré sur l'apparition des principales catégories juridiques qui concernent le droit de l'enfant.
Le droit romain et la notion de majorité
A Rome, sous la République et au début de l'Empire, il n'existe pas de majorité ni de minorité. Un enfant ne venait à la Société que parce qu'il était reconnu par son père (au moment de la naissance, le père prenait l'enfant dans ses bras et l'élevait : alors l'enfant existait socialement). Plus tard, à la puberté (14 ans pour les garçons, 12 ans pour les filles), au moment où l'enfant recevait des vêtements d'adulte, il franchissait une nouvelle étape, on lui reconnaissait la capacité de procréer. A 16 ans, il pouvait opter pour la carrière politique.
Pourtant, il est apparu rapidement, surtout à partir du IIème siècle avant Jésus-Christ, que la distinction entre impubère et pubère était insuffisante, en particulier pour régler les problèmes relatifs à l'usage et à la transmission des biens.
C'est l'époque où la société romaine s'est mise à commercer, à faire circuler des biens et à les monnayer. C'est aussi, l'époque où la pratique de l'usure s'est développée dans une société où la fringale de l'argent est de plus en plus vive, même chez les jeunes. Et ceux-ci étaient la proie facile de nombreux prêteurs. Il fallait donc protéger leur patrimoine. C'est ainsi qu'une loi établit une distinction entre minorité et majorité, celle-ci étant fixée à 25 ans.Toute l'évolution ultérieure du droit romain devait aller dans le sens d'un renforcement de cette coupure et d'une extension de la curatelle.
Devenu majeur, l'enfant acquérait tous les droits. Cependant, son père conservait la "patria potestas" : c'est-à-dire une pleine autorité sur son fils, même majeur. Ce dernier ne pouvait notamment pas contracter, affranchir, faire de testament, opter pour une carrière sans l'assentiment de son père. Pour les filles, la patria potestas s'étendait également au mariage : elles devaient respecter la volonté paternelle, quel que soit le conjoint qu'on leur imposait.
La puissance paternelle comportait enfin le droit de déshériter un enfant et même celui de le mettre à mort (la dernière exécution attestée de ce genre remonte au régime d'Auguste). Heureusement, dans certains cas d'abus de cette puissance paternelle, il subsistait la possibilité de faire prononcer l'émancipation légale.
Sous l'Ancien Régime : la notion d'enfant
Le droit romain (écrit) a continué à être appliqué tout au long du Moyen Age et jusqu'à la Révolution française, notamment dans le midi de la France ; mais, parallèlement, on a vu se développer un droit coutumier qui, lui, était beaucoup plus souple.
Au cours du Moyen Age, il se produit un phénomène important (bien analysé par Philippe ARIES dans "L'Enfant et la Famille sous l'Ancien Régime" : la notion d'enfant n'existe pas . Jusqu'à 7 ou 8 ans le petit enfant restait avec ses parents. Puis il rentrait en apprentissage où il était complètement intégré au monde des adultes. Il y a alors une "indifférente promiscuité des âges". Les catégories de minorité et de majorité ne conservent de sens qu'en matière patrimoniale.
L'enfant ne sera reconsidéré qu'au XVIIème siècle, à partir du moment où il est confié à des adultes qui auront en charge son éducation : c'est-à-dire à partir du moment où l'école va se développer, sous la férule des religieux. L'attention se porte sur l'enfant hors de sa famille, alors qu'il n'est pas encore entré dans le monde des adultes. Cette période qui va, en gros, de 8 à 12 ans est prise en compte pour elle-même. A la veille de la Révolution française, Philippe ARIES distingue schématiquement, deux perceptions de l'enfance :
- la première s'exprime par le mignotage, durant les premières années de la vie. Il est alors de bon ton de parler à l'enfant, de lui manifester de la tendresse. Certes, le mignotage existait auparavant, mais il ne s'étalait guère en public, alors qu'il devient une manifestation de bonne conduite sociale. Il est vrai que, à l'inverse, on voit apparaître certains textes qui présentent l'enfant comme ennuyeux, trop accaparant, trop choyé (Montaigne écrivait déjà qu'il n'admettait pas qu'on aime les enfants "ainsi que des guenons"). Toujours est-il que l'enfant ne laisse pas indifférent;
- la deuxième provient d'une source extérieure à la famille. Les hommes d'Eglise ou de robe, les moralistes s'attardent moins sur l'aspect charmant de l'enfant ; ils le présentent comme un être fragile, qu'il faut protéger. Apparaissent alors, au XVIIème siècle et plus encore au XVIIIème, les notions de préservation et de protection (de "l'innocent"). Reste que l'enfant doit être assagi, car, aux yeux des moralistes, il est en prise aux passions les plus violentes.
Dans le même temps (au XVIIIème siècle) on voit se développer le souci de l'hygiène et le respect du corps de l'enfant. Bref, tout ce qui touche à l'enfant est devenu quelque chose de sérieux ; l'enfant - tel qu'il est et non pas seulement en considération de son devenir - prend une place grandissante, on commence à se poser des questions sur l'état d'enfance comme tel. Corollairement, la famille est reconsidérée par les juristes et les moralistes: elle cesse d'être seulement une institution de droit privé, qui permet la transmission du patrimoine et du nom ; elle est également investie d'une fonction morale et spirituelle.
Par rapport à cette évolution des représentations de l'enfant, le droit n'évolue guère. Au cours des XVIIème et XVIIIème siècles, la Royauté s'était efforcée d'unifier le droit écrit, hérité de la tradition romaine et les droits coutumiers (hérités plutôt de la tradition germanique). Les notions de minorité et de majorité - à 25 ans - sont étendues à toute la France.
Dans les pays de droit écrit, on conservait les privilèges de la "patria potestas" (mais peu de pères avaient la possibilité de l'exercer quand leurs fils étaient devenus majeurs, puisque la durée moyenne de vie était alors inférieure à 5O ans). Pourtant, les ordonnances royales vont renforcer cette puissance paternelle, au nom du principe que, au sein de la famille, le père représente le Roi (on retrouvera le même type de discours au XIXème siècle, le père représentant alors l'Etat). Selon une déclaration de 1639, "la révérence naturelle des enfants envers leurs parents est le lien de la légitime obéissance des sujets envers leur souverain".
Dans ces conditions, que pouvait faire un enfant ? Peu de choses. Jusqu'à 3O ans le fils devait demander l'assentiment de son père pour se marier, sinon il courait le risque d'être déshérité. Il en allait de même pour la fille jusqu'à 25 ans. L'enfant devait également obtenir l'autorisation paternelle pour entrer en religion. Surtout, le père conservait le "droit de correction", aux termes duquel il pouvait faire enfermer de force ses enfants quand il était mécontent d'eux.
Au total de droit paternel s'appesantit. Pourtant on voit apparaître des contestations : notamment celle de Jean-Jacques ROUSSEAU. Il écrit dans l'Emile: "Le père n'est le maître de l'enfant qu'aussi longtemps que son secours lui est nécessaire" ; au-delà, le fils ne doit plus que respect. Et plus loin : "Posons pour maxime incontestable que les premiers mouvements de la nature sont toujours droits ; il n'y a point de perversité originelle dans le coeur humain".
La Révolution de 1783 : la majorité à 21 ans
La Révolution française est surtout présentée, à juste titre, comme une révolution de la jeunesse contre la génération antérieure.
Entre 1789 et 1792, les différentes Assemblées vont essayer d'imposer des législations qui, en fait, ne seront pas appliquées, mais qui sont passionnantes du point de vue examiné ici, et dont certaines dispositions pourraient s'intégrer dans notre droit actuel.
D'abord, la puissance paternelle fait l'objet d'attaques très violentes. La loi du 26 mars 1790 abolit les lettres de cachet. Il n'est plus possible d'enfermer l'enfant quand on le désire et pour un temps indéterminé. Il faut qu'il y ait un contrôle de la société. La loi du 16 août 1790 institue un tribunal domestique de la famille, tribunal composé de huit personnes : membres de la famille, ou à défaut, voisins et amis. Le tribunal sera réuni à la demande du père ou de ma mère, de l'aïeul ou du tuteur, lorsqu'il y a conflit entre eux et un enfant donnant des sujets de mécontentements. Le tribunal examinera contradictoirement leurs doléances. Pour toutes choses relatives à la tutelle et en cas de conflit, le père, mais aussi le fils peuvent demander l'arbitrage de parents ou amis. Le tribunal de la famille pouvait emprisonner un enfant pour un an au maximum, mais sous le contrôle du tribunal de district. Cette loi, d'application irrégulière, fut abrogée le 9 Ventose An IV.
Une autre loi, du 28 août 1732, abolit la puissance paternelle pour les majeurs, mais en la maintenant pour les mineurs qui jouiront durant quelques années d'une relative liberté incluant celle de faire du commerce à partir de 16 ans. Le contrôle parental ou tutoral s'exerçait surtout pour que les biens du mineur ne soient pas dilapidés.
La loi du 20-25 septembre 1792 abaisse la majorité de 4 ans, l'accordant désormais à 21 ans. Les motifs allégués par les Révolutionnaires sont d'abord d'ordre économique. Il faut que tous ceux qui sont jeunes puissent participer à la somme des transactions dont la République a besoin ; il ne faut pas que l'individu, au-delà de 21 ans, soit paralysé par la loi... On reconnaît ainsi que la capacité naturelle est la vraie mesure de la capacité légale. L'exemple des Etats voisins est également invoqué: plusieurs d'entre eux ont établi la majorité à 20 ou 21 ans et, reconnaît-on, "ni l'ordre public ni l'ordre privé n'en ont souffert". On invoque surtout "les développements de notre organisation morale qui se trouvait avancée en raison des progrès que les Lumières avaient fait depuis plusieurs siècles". On estime donc, en 1792, que les individus sont suffisamment évolués pour devenir adulte à 21 ans.
En 1793, un projet du Code Civil innove tout au moins dans ses attendus. Il y est déclaré que les parents ne doivent que surveiller et protéger l'enfant. "Surveillance et protection, voilà le droit des parents. Nourrir et élever, établir leurs enfants, voilà leur devoir", dira CAMBACERES dans son rapport à la Convention du 9 août 1793 (il tiendra un autre discours quand, en 1804, il sera l'un des rédacteurs du Code Civil ).
En ce qui concerne l'instruction, DANTON affirme que "les enfants appartiennent à la République, avant que d'appartenir à leurs parents" (séance du 2 Fructose, An II). Si les parents n'envoient pas l'enfant à l'école, ils sont passibles d'amendes (loi du 22 Frimaire, An II).
Le Code Napoléon
Le Code Civil de 1804, Code Napoléon, apparaît en première analyse comme un retour en arrière, une remontée de l'autorité paternelle. Il innovera cependant dans la mesure où il fait droit à des notions très importantes : celles de laïcité ou d'égalité de tous, notamment devant l'héritage (le père n'a plus le droit de déshériter tel ou tel enfant dans n'importe quelles conditions).
L'un des pères du Code Civil, PORTALIS, déclare : "On a besoin des pères..." il faut qu'ils reviennent en force, car ce sont les "magistrats naturels" à l'intérieur de la famille et ce sont eux qui transmettent au fond les valeurs de l'Etat. Un autre Conseiller d'Etat, MALEVILLE, indique que "la puissance paternelle est la providence des familles, comme le gouvernement est la providence de la société" ou encore que "l'autorité des pères de famille doit être là pour suppléer les lois, corriger les moeurs et préparer l'obéissance".
On autorise le père à enfermer l'enfant, lorsqu'il en a de justes motifs (mais ceux-ci ne sont plus précisés ni contrôlés) pendant une durée d'un an, renouvelable. Cela tant que l'enfant n'est pas majeur. Ce rétablissement provoque d'âpres discussions, car, pour la rédaction du Code Civil, Napoléon avait fait appel à tels ou tels anciens révolutionnaires -notamment BERLIER, TREILLARD, CAMBACERES- qui ont du mal à se dédire par rapport aux positions qu'ils tenaient dix ans auparavant.
Même si certains articles en ont été amendés au cours des XIXème et XXème siècle, le Code Civil de 18O4 reste aujourd'hui encore le support de notre législation civile. L'essentiel de l'idée familiale et de la conception des rapports entre parents et enfants, qui sont le soubassement du droit actuel, a été formulé dès cette époque et en fonction des représentations et des impératifs sociaux qui prédominaient alors...
Or, aux termes du Code Napoléon, le mineur ne peut pratiquement exercer aucun droit personnel. Il ne peut pas demander son émancipation (celle-ci ne peut être accordée que sur réclamation de son père). Si c'est un enfant naturel, incestueux ou adultérin, il ne peut pas rechercher son père ; dans les deux derniers cas, il ne peut pas être reconnu par lui. L'adoption n'est prévue que pour le majeur (sauf s'il s'agit d'un enfant dont les parents sont morts à la guerre : l'Etat peut alors l'adopter). Le mineur ne peut pas se marier sans autorisation en dessous de 21 ans pour les garçons et de 18 ans pour les filles. Il n'a aucun droit personnel : son avis ne peut être déterminant en matière d'éducation ; il ne peut pas quitter son domicile sans autorisation de son père (sauf pour s'engager dans l'armée), ni choisir sa religion, etc.
En revanche, s'il a des biens et dans la mesure où son commerce juridique peut s'avérer nécessaire, des tempéraments ont été apportés à son incapacité totale, et il peut passer un certain nombre de contrats, tout au moins si ces actes (conservatoires) ne peuvent pas lui nuire, s'ils lui permettent de préserver un droit (par exemple, faire appliquer des scellés, dresser un inventaire), ou si ces actes ne sont pas trop graves (par exemple, achats de peu d'importance). En outre, le mineur ou son représentant légal peuvent faire annuler tel ou tel contrat abusif pour lui : ce que l'on appelle (depuis le droit romain), la "restitution pour lésion", en cas de préjudice.
Durant le XIXe siècle : se profile la notion d'intérêt de l'enfant
De 1804 à 1880, il ne se produira pas grand chose relativement à la situation juridique du mineur. Néanmoins, dans la société, le débat se poursuit autour de l'autorité du père. Progressivement se dégage une manière de consensus entre des personnalités aussi opposées sur le plan politique que peuvent l'être le traditionnaliste de BONALD, l'anarchiste PROUDHON ou l'utopiste BABEUF. La Famille est présentée comme une communauté de base, dans laquelle le père doit jouer un rôle essentiel, sans que son autorité soit remise en cause.
Ce paternalisme se retrouve non seulement dans la famille, mais aussi dans l'usine (l'industrialisation française se fait lentement, d'une manière dispersée, avec une assise familiale) et dans l'Etat. L'école, encore très "bourgeoise", reprend également l'image du pater familias pour l'appliquer à l'éducateur. Et celui-ci a pour mission de dresser l'enfant, en usant au besoin des châtiments corporels.
L'Etat mettra très longtemps à entamer l'autorité du père. Il le fera d'ailleurs au nom d'un intérêt supérieur, celui de la société, plutôt qu'à celui de l'intérêt de l'enfant (il faudrait relire les débats parlementaires pour voir comment évoluent les arguments et les formulations).
Néanmoins, dans le Code Pénal de 1810 ( articles 66 et 67), on trouve une limite au droit des familles et l'institution d'un contrôle judiciaire. En effet, "lorsqu'un enfant qu'on accusait d'un crime est absous, les tribunaux sont maîtres ou de le rendre à ses parents, ou de l'envoyer dans une maison de correction. Cette alternative rend l'intervention de la loi facile à saisir. Les parents présentent-ils des garanties de moralité : l'enfant sera remis entre leurs mains, afin qu'ils puissent corriger ses penchants vicieux et réformer ses mauvaises habitudes. Au contraire, les magistrats ont-ils de justes motifs de penser que les désordres de l'enfant sont dus aux fâcheux exemples de la famille : ils se garderont bien de le rendre à ses parents près desquels il achèverait de se corrompre, et ils l'enverront dans une maison de correction, qui lui servira moins de prison que de collège ; il sera élevé et détenu".( Alexis de TOCQUEVILLE, dans Du Système pénitentiaire aux Etats-Unis et de son application en France, 1882).
Le principe de la déchéance paternelle est ici enf germe.
Quelques autres mesures apparaissent comme des signes avant-coureurs de la reconnaissance d'un droit de l'enfant :
-le 19 janvier 1811, on rétablit les tours dans les hospices pour que les enfants abandonnés puissent y être déposés anonymement ;
- deux décisions de la Cour de Cassation (du 18 juin 1844 et du 25 mars 1861, rappellent que l'incapacité du mineur n'est pas celle de contracter, mais celle de se léser ;
- une loi de 1844 autorise le mineur à reconnaître un enfant naturel.
C'est surtout dans le cadre du droit du travail que vont se développer les premières réglementations protectrices de l'enfant. Un décret du 31 janvier 1813 interdisait déjà de laisser descendre ou travailler dans les mines les enfants de moins de 10 ans. Mais ce décret n'est pas appliqué.
En 1840, le Docteur VILLERME, dans son "Tableau de l'état physique et moral des ouvriers", dresse un rapport affligeant sur les conditions de travail des enfants : il y apparaît que dès l'âge de 6 ou 7 ans, beaucoup d'entre eux sont employés dans les usines ou les manufactures, qu'ils y travaillent durant 15 heures (avec 13 heures de travail effectif); qu'ils souffrent de tuberculose, de rachitisme, d'autant plus que la plupart logent dans des taudis. Dans le même temps, des écrivains comme Honoré de BALZAC, Victor HUGO ou George SAND font largement écho aux cris d'alarme lancés par les "philanthropes".
Le 12 mars 1841, une première loi interdit le travail des enfants de moins de 8 ans, elle limite la durée de travail à 8 heures par jour pour les enfants de 8 à 12 ans, et à 12 heures par jour au-delà de 12 ans. A moins de 12 ans, il est dit que l'enfant doit fréquenter l'école (l'obligation scolaire pour l'école primaire n'interviendra en fait qu'en 1882). Toutefois cette loi ne sera pas appliquée. D'une part, elle se heurtera à l'opposition des milieux populaires, parce que le salaire des enfants représentait un appoint important. D'autre part, parce que les employeurs avaient intérêt à embaucher les enfants, qu'ils payaient environ le quart du salaire d'un adulte (la femme étant elle-même payée la moitié).
Tout aussi inefficace sera la loi du 22 février 1851 sur les contrats d'apprentissage : jusque-là le père ou le tuteur signait ces contrats en lieu et place du mineur ; la loi donnait à cet égard un droit de contrôle aux Prud'hommes. Mais il est alors objecté que cette mesure soustrait les enfants à la tutelle légitime de leurs parents, pour les soumettre à celle de l'Etat.
Signalons enfin deux textes qui ont leur importance, car ils apportent des précisions sur la "majorité sexuelle" du mineur. Le Code Pénal ne prévoyait rien qui empêchât l'enfant, quel que soit son âge, d'avoir des relations sexuelles. La loi du 28 avril 1832 établit une barrière à 11 ans ; celle du 13 mai 1863 la reportera à 13 ans, hors les cas de violence punis par le Code pénal de 1810. Cette loi condamne particulièrement ceux qui attentent à la pudeur d'un mineur alors qu'ils exercent une autorité directe ou déléguée par les parents.
Au tournant du XXe siècle : l'ébauche d'un droit de l'enfant
A partir de 1880, sous la IIIe République, on va voir se développer un mouvement législatif très fort. L'Etat va prendre toute une série de mesures pour mieux assurer la protection de l'enfant.
Une nouvelle loi (du 2 novembre 1892) sur le travail de l'enfant, retarde à 13 ans son admission sur les chantiers ou dans les usines et ateliers, avec cependant une série de dérogations dans le domaine de la filature (où les "petites mains" sont souvent nécessaires), de la marine marchande, etc. Cette loi limite aussi la durée du travail à 10 heures par jour entre 13 et 16 ans, à 11 heures entre 16 et 18 ans ; au-delà de cet âge, l'individu est soumis aux mêmes règles que les personnels adultes.
D'autres lois (notamment en 1890, 1900 et 1904) repousseront encore l'âge d'admission au travail et diminueront la durée quotidienne du travail. Toutes ces mesures sont prises parallèlement aux textes législatifs qui traitent de l'école et augmentent progressivement le temps de la scolarisation obligatoire. Celui-ci sera porté à 13 ans par la loi du 28 mars 1882. Les discussions parlementaires de ce texte sont significatives : on se demande s'il n'y a pas là une atteinte à la liberté du père de famille...
L'argument qui l'emportera fera valoir que l'enfant n'a pas de véritable liberté si on le laisse ignorant. "Si le père a des droits, l'enfant n'a-t-il pas les siens ?" On commence ainsi à parler des droits de l'enfant.
Surtout on va toucher au " sacro-saint " ( l'expression est de l'époque) droit de la famille par la loi du 24 juillet 1889, une loi qui aura été discutée pendant huit ans ( depuis 1881), "relative à la protection des enfants maltraités ou moralement abandonnés". Déjà le Code pénal de 1810 protégeait les enfants qui étaient l'objet de sévices " graves", entraînant des certificats médicaux ou des incapacités de travail importantes. Désormais, on se penche sur la situation des enfants qui ne sont pas seulement blessés ni même maltraités physiquement, mais qui subissent des violences d'ordre moral ou psychologique, ou qui sont moralement abandonnés. On va limiter la puissance paternelle en introduisant la possibilité de déchéance paternelle - mais elle sera rarement prononcée -, ou surtout la possibilité de confier les enfants à l'Assistance publique, pour des raisons de " moralité" (mais cette notion reste très ambiguë).
Les rapporteurs de cette loi font montre d'une certaine gène à s'attaquer à la forteresse paternelle. L'un d'eux déclare: " La loi ne doit pas prétendre à la répression de tous les abus possibles de la puissance paternelle. Elle ne doit même pas les rechercher. Il suffit de les voir et de les réprimer lorsqu'ils éclatent au grand jour et deviennent évidents". Le même rapporteur ajoute que lorsque les enfants sont confiés à l'Assistance publique, il faut les préparer à la lutte de la vie.." Il ne faut pas épuiser les enfants par des travaux trop rudes; mais surtout il ne faut pas les amollir, parce que l'oisiveté constitue un danger pour la société". La conception que l'on avait de l'éducation qui devait être dispensée par l'Etat quand il avait en charge un enfant, restait fondée sur la sévérité...
Cette même loi va être complétée par une loi du 19 avril 1898 qui est significative parce que le ton des rapporteurs est différent et témoigne d'une évolution très rapide du discours sur la famille. Cette loi a pour titre " loi sur la répression des violences, voies de fait, actes de cruauté et attentats commis contre les enfants". L'un des rapporteurs, Henri COCHIN déclare: " Maltraiter un enfant, le faire souffrir, est une des actions les plus lâches et les plus honteuses qui soient. C'est dans l'intérieur des domiciles privés (en 1889 on ne parlait que des sévices qui tombaient en quelque sorte dans le domaine public) que la férocité se donne cours, protégée par la loi qui rend les foyers domestiques inviolables et sacrés..."
Cette loi, très dure, va commencer à être appliquée à l'encontre des familles qui font le plus peur, les plus déshéritées. Tout au long du XIXème siècle, les gens en place inspireront toute une série de mesures de protection pour contenir le "prolétariat" et normaliser la famille dans les milieux populaires où les naissances "naturelles" étaient très fréquentes ( parce que l'on ne pouvait se marier que sous certaines conditions et parce que le divorce était interdit). Il se ressasse ainsi tout un discours sur ce que l'on appelle les "classes dangereuses ".
Parallèlement, se développe (la réflexion se poursuivra jusqu'à nos jours) l'idée de l'égalité de l'enfant devant la naissance. Jusqu'alors les enfants légitimes étaient pratiquement les seuls qui avaient un statut juridique bien défini. Les enfants naturels pouvaient être reconnus par leur père mineur, mais les enfants adultérins ou incestueux ne jouissaient d'aucun droit. Une loi du 23 mars 1893 se préoccupe des enfants naturels et étend leurs droits successoraux aux côtés des enfants légitimes. Une loi du 2 juillet 1907 organise la puissance paternelle pour les enfants naturels.
Au tournant du siècle apparaissent certaines ébauches d'un droit de l'enfant à exister par lui-même, à exercer lui-même ses droits. C'est ainsi que la loi de juillet 19O5 autorise l'enfant qui travaille a saisir les juges de paix pour tout ce qui concerne ses conditions de travail et notamment le paiement de son salaire; il peut également (loi du 27 mars 1907) saisir le conseil des Prud'hommes.
Des modifications interviennent également dans l'exercice de la justice pénale. La majorité pénale avait été fixée à 16 ans en 181O. Avant cet âge, si le mineur était reconnu non capable de discernement, il pouvait être soit relaxé, soit remis à sa famille, soit placé en prison. S'il était reconnu capable, il était condamné. Or, à la fin du XIXème siècle, sous l'influence entre autres des magistrats catholiques et de psychologues, prend corps la notion d'enfance "en danger", en même temps qu'est reconnue la nécessité de la prévention.
Ainsi, en 1891, de jeunes avocats fondent un Comité pour la défense des enfants traduits en justice, qui se donne pour tâche d'améliorer la condition judiciaire de "l'enfance abandonnée, malheureuse, vicieuse ou coupable".
Une loi de 1890 rend l'instruction obligatoire pour tout délit commis par un mineur, afin d'en mieux saisir les raisons et les circonstances. La loi du 12 avril 1906 fait passer la majorité pénale de 16 à 18 ans.
C'est surtout dans ce cadre que se développe la notion d'intérêt de l'enfant. Le rapporteur de la loi de 1906 indique que cette notion est "nouvelle....Il faut se préoccuper de l'avenir de l'enfant. Il faut que l'enfant continue à être irresponsable pénalement" (c'est-à-dire qu'il puisse continuer à bénéficier de peines atténuées, même s'il était passible de prison). Le rapporteur parle de l'extension de l'âge de l'irresponsabilité "qui aura pour effet de prolonger la période durant laquelle le jeune délinquant pourra être soumis à l'éducation hospitalière ou pénitentiaire".
La loi du 12 juillet 1912 institue les tribunaux pour enfants: c'est-à-dire une juridiction spécialisée pour les mineurs jusqu'à 18 ans. Pour la première fois, on va établir une irresponsabilité complète jusqu'à 13 ans: avant cet âge, le mineur ne pourra plus être condamné pénalement. Il pourra être envoyé dans une institution; dans le cas de crimes graves, il pourra faire de la prison dans le cadre de la détention préventive...de 13 à 16 ans, il est responsable pénalement, mais à des peines qui sont systématiquement diminuées de moitié. De 16 à 18 ans, il peut être condamné comme un majeur, sauf si l'on estime qu'il y a des circonstances atténuantes.
Cette loi est intéressante parce qu'elle fixe l'état de la pensée ambiante par rapport aux mineurs, et notamment par rapport au mineur délinquant sur lequel la société s'est beaucoup penchée à cette époque. Les rapporteurs constatent " une crise de morale générale... chez les êtres qui ont le moins de responsabilité personnelle et le plus de facilités aux suggestions du milieu...Le vagabondage, c'est l'école de la rue, préférée à l'école publique, avec son complément d'images pornographiques, sanglantes, d'exemples honteux et de fréquentations pernicieuse... Quand le foyer n'est qu'un mythe, "l'enfant devient un délinquant ".
D'un autre côté, on dit, pour expliquer l'irresponsabilité en dessous de 13 ans, que " placer sur la sellette un enfant de 8 ans, 9 ans, c'est un scandale, un acte affligeant, qui n'aura jamais l'assentiment de la conscience publique". Il faut rétablir une " propédeutique du redressement " et faire " une orthopédie morale, adaptée socialement par l'éducation et la discipline". " La médication doit être énergique, mais l'incurabilité morale ne doit jamais être présumée".
Telle est donc la manière dont on traduisait alors dans les lois la capacité et l'incapacité du mineur, sur le plan du travail, sur celui de la famille, sur le plan pénal. En fait, la réflexion des juristes ne tranchait pas sur les opinions qui avaient alors cours dans la société et qui étaient loin d'être aussi simplistes ou retardataires qu'on a pu le dire. Et les juristes étaient partagés, à l'instar du grand public, sur un certain nombre de questions.
Ainsi au sujet des successions et des droits des enfants naturels.(Loi du 25 mars 1896) sous-jacent à ce problème, c'est la nature de la famille qui est en cause, certains orateurs, juristes comme DEMOLE et TOLAIN ont donné une définition large de la famille: "un groupement de personnes qui ont consenti à former une agglomération avec des droits et des devoirs réciproques. Le père ou la mère qui l'ont fondée soit par le mariage, soit par l'union libre, soit encore en y plaçant des enfants naturels reconnus à côté d'enfants légitimes ou d'enfants adultérins, ont contracté vis-à-vis des uns et des autres des devoirs égaux, comme ils ont acquis par la reconnaissance la puissance paternelle et notamment le droit de correction". Les juristes défendent donc l'idée du droit de l'enfant à sa naissance et l'idée de l'égalité du droit de l'enfant quelles que soient les conditions dans lesquelles il a été conçu et est né...
A l'époque, ce langage extrêmement " moderne" (on ne dit pas autre chose aujourd'hui) ne pouvait pas encore être officiellement "reçu". La définition qui a servi, jusqu'à nos jours, à établir les lois présente la famille comme "une institution sociale qui procède du mariage. Elle lui est invinciblement attachée et ne se perpétue que par lui. Le législateur n'a pas le droit de l'ébranler. Sinon on sacrifierait un intérêt supérieur et général à des situations particulières et exceptionnelles: on détournerait des unions légitimes, on encouragerait le désordre des moeurs et provoquerait des désordres et des haines, au milieu desquelles les liens du sang, sous le prétexte d'être plus largement respectés, risqueraient de se relâcher et de se rompre. Cela conduirait donc à la même solution pour les enfants adultérins et incestueux envers lesquels la gravité de la faute rend la responsabilité encore plus lourde".
De même, au tournant du siècle, les droits de l'enfan font l'objet de débats animés. On voit apparaître l'idée que l'enfant est capable d'exercer lui-même des droits. En 1871, le professeur ACCOLAS (doyen éphémère de la Faculté de Droit sous la Commune) enseignait que l'enfant doit avoir les mêmes droits que l'adulte, car les droits de l'homme ne sont pas divisibles. Il se fondait sur la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen de 1789, et en concluait qu'il fallait repenser les droits de l'enfant à la lumière de cette Déclaration. Il considère "l'individu enfant avec une autonomie et une volonté libres par elles-mêmes". Aussi reconnaît-il à l'enfant la capacité de s'exprimer personnellement sur ce qui le touche de plus près, ainsi que sur les biens (mais ce dernier droit est alors largement acquis). Si contrôle il y a, il doit intervenir a posteriori ; et s'il est normalement exercé par l'autorité parentale, la famille, il peut l'être éventuellement par le Juge, l'enfant, en cas de désaccord avec ses parents, ayant le pouvoir de saisir ce Magistrat. C'est remettre en question la notion de minorité.
Le premier livre sur les droits de l'enfant est publié en 1900, par un dénommé LEROY. A vrai dire, il traite surtout de la protection de l'enfant. Néanmoins, l'expression est lancée.
Aussi assiste-t-on , au tournant du siècle, à une individualisation de l'enfant qui est la base nécessaire de la reconnaissance de ses droits. La notion d'intérêt de l'enfant bascule. Il ne s'agit plus de protéger ou de former l'enfant pour qu'il soit en bonne santé, bien éduqué, instruit, bon travailleur : toutes qualités qui en font un bon citoyen et lui confèrent une valeur sociale. Il s'agit de le respecter lui-même, de reconnaître l'intérêt de sa personne.
L'historienne Michelle PERROT écrit à ce propos :
"On peut provisoirement discerner trois séries de facteurs qui concourent à la fin du XIXème siècle et au début de XXème à l'émergence d'un enfant digne d'intérêt. D'abord des facteurs politiques liés à la logique démocratique et aux droits des personnes. Il faut, dit LEGOUVE, élever les enfants pour eux, non pour nous, admettre que leurs "intérêts" peuvent ne pas coïncider avec ceux du groupe, qu'ils auront à assumer seuls leur destin, et par conséquent développer leur initiative, voire cultiver une certaine détermination qui préserve leur capacité de liberté, voie que préconisent les pédagogies libertaires. Mais jusqu'où aller ? Voilà assurément un grand débat.
"En second lieu, la "volonté de savoir" à l'oeuvre dans la rationalité occidentale, par les observations et les contrôles qu'elle induit, a des effets de connaissance considérables. Par eux, y compris par la forme tatillonne des dossiers scolaires, l'enfant prend visage et voix. Son langage, ses affects, sa sexualité, ses jeux... sont matière d'observations qui dissipent les stéréotypes au profit des cas concrets et déroutants.
"Enfin, l'auto-affirmation des enfants eux-mêmes, leurs résistances infimes et leurs désirs, dont la saisie est favorisée par l'écoute plus attentive dont ils bénéficient, contribuent à les faire exister. L'enfant n'est plus seulement sommé de se taire ; modestement encore, de façon certes souvent biaisée (le Tribunal par exemple), on sollicite sa parole"
A la veille de la guerre de 1914, et comme suite logique de cette individualisation de l'enfant, on voit poindre des distinctions nouvelles : la notion de "bébé" (directement transcrite de l'anglais baby) et surtout celle d'adolescent (l'état d'adolescence faisant l'objet de diverses études).
Dans l'entre-deux-guerres
Au cours de la guerre de 1914-1918, on ne relève pas d'innovation en ce qui concerne le statut de l'enfant. Pourtant, en 1917 et 1919, il est proposé d'abaisser la majorité à 20, voire 19 ans, au motif que ceux-là qui sont mobilisables et mobilisés pour défendre la patrie, avec le risque de mourir pour la France, devraient avoir le droit de participer à la conduite des affaires publiques. Cette revendication n'aboutira pas.
Il est également discuté du sort des enfants adultérins (nombreux durant la guerre). Ce qui aboutira, en 1921, à une loi qui permet de les légitimer.
Cependant, il se produit un tournant dans l'opinion, qui n'est pas sans importance pour le sujet qui nous occupe. Par la force des choses (leurs maris étant sur le front), les femmes occupent une place essentielle dans la société ; et les qualités civiques dont elles font preuve durant cette période troublée vont à la fois faire ressortir leur rôle social et les amener à s'unir davantage. Sans doute ce double mouvement est-il amorcé depuis longtemps, mais il va dès lors s'amplifier et, jusqu'à nos jours, on pourra observer un certain parallélisme entre les revendications qui portent sur le statut de l'enfant et celles qui portent sur le statut de la femme (elle aussi encore mineure).
Reste que, au lendemain de la guerre, les hommes reprennent toutes leurs positions , confortées par le prestige des anciens combattants. La Chambre "bleu horizon" est nataliste. Le 8 avril 1922, une loi accorde aux garçons à partir de 21 ans, aux filles à partir de 18 ans, la possibilité de se marier sans l'accord de leurs parents. La majorité civique correspond pour la première fois à la majorité matrimoniale.
Une loi du 19 juin 1923 rend possible l'adoption de mineurs : le Code Napoléon privilégiait la famille par le sang et n'admettait l'adoption que pour des majeurs. La nouvelle loi demande, en outre, le consentement du mineur à partir de 16 ans.
En 1935, on supprime la correction paternelle. La facilité qu'avait le père de faire interner son enfant n'avait pas été remise en cause (mais seulement tempérée) au cours du XIXème siècle, elle était cependant tombée en désuétude après la guerre de 1914, d'autant plus qu'un nombre croissant de juges intervenaient pour exercer un droit de regard. Elle est donc supprimée et remplacée par l'assistance éducative. Le juge civil se voit conférer la possibilité de renvoyer dans une institution adéquate le mineur qui a des difficultés avec sa famille.
Sur le plan du droit du travail, on note quelques avancées. A partir du 17 mars 1920, une loi permet au mineur de 16 ans d'adhérer à un syndicat de son choix, sauf opposition des parents. Le contrat d'apprentissage est également aménagé, mais le père conserve le droit de signer ce contrat même sans l'accord de son fils.
En fait, au cours de cette période, l'attention se décentre de l'enfant, pour se reporter davantage sur la famille et sur le sort des ménages. C'est l'époque où se développe le système des allocations familiales, où la lutte s'intensifie contre l'alcoolisme, la pornographie, la prostitution et l'avortement. Les préoccupations natalistes sont toujours sous-jacentes. Ce souci de protéger la famille aboutira, en 1939, au Code de la Famille et de la Nationalité française, que je n'évoque pas ici puisque d'autres intervenants en traiteront.
Les droits personnels du mineur dans la législations actuelle
De ce rapide survol historique, il ressort que le mineur a trois catégories de droits :
- le droit de "bénéficier de" quelque chose : nourriture, soins médicaux, éducation, loisirs, affection, amour, etc... Sur cette première catégorie, tout le monde est d'accord : à preuve, en autres proclamations universelles, la Déclaration des Droits de l'Enfant de 1959, texte en dix articles, adopté par l'O.N.U. ;
- le droit d'être protégé de quelque chose : de ce qui porte atteinte à son intégrité physique ou psychologique, des mauvais traitements,de la torture, de l'exploitation dans le travail des diverses formes de discrimination. Sur ce point, on observe des divergences, non seulement selon les époques, mais aujourd'hui encore selon les pays et les cultures.
- le droit de faire quelque chose : de s'exprimer, de participer aux décisions qui affectent sa vie. Ce droit n'est pratiquement pas reconnu partout dans le monde.
Par référence à cette dernière catégorie de droit, comment se présente le statut du mineur (dans le cadre juridique, l'enfant comme tel n'existe pas) ? Sans revenir sur ce que j'ai indiqué précédemment concernant le mariage, l'adoption, la recherche de paternité, le travail ou la gestion des biens, je voudrais examiner maintenant les droits actuels du mineur qui concernent directement sa personne. C'est aujourd'hui dans ce domaine que les juristes se posent plus de questions.
Le nom et la nationalité
Dans sa Déclaration de 1959, l'O.N.U. reconnaît d'abord que le mineur a droit à un nom et un prénom. Cela qui nous paraît banal, mais qui est essentiel pour le développement de la personnalité de l'individu, prend une grande importance dans le cas de l'adoption. Car alors, le mineur est séparé de sa famille d'origine et entre dans une nouvelle famille, il est donc appelé à changer de nom. Sur ce point, en France, les lois du 11 juillet 1966 et du 22 décembre 1976, qui ont transformé les procédures d'adoption, se sont montré novatrices. En effet, s'il s'agit d'une adoption simple, le mineur doit donner son consentement, à partir de 15 ans ; de plus, il peut demander à changer de nom (le plus souvent il portera le double nom de ses géniteurs et de la famille adoptante). Dans le cas d'une adoption plénière,le consentement de l'enfant est requis à partir de l'âge de 13 ans ; il doit également dire s'il accepte ou non de changer de nom et éventuellement de prénom.
S'il s'agit d'un enfant naturel, généralement il porte le nom de sa mère. Si celle-ci se marie, il porte automatiquement le nom de son époux. En revanche, si la mère, sans pour autant se marier, veut donner à l'enfant le nom de son géniteur, elle doit obtenir le consentement du mineur à partir de l'âge de 15 ans. Dans certains pays scandinaves (Danemark, Suède, Norvège), le consentement du mineur est requis, dès l'âge de 12 ans, pour tout changement de nom ; la même disposition existe en R.F.A., mais à partir de 14 ans.
En ce qui concerne la nationalité, on sait que, à 18 ans, tout enfant né en France, même de parents étrangers, et à condition qu'il réside en France depuis au moins 5 ans, est automatiquement réputé Français. Cela, s'il n'a pas fait de démarche qui s'oppose à cette disposition. En effet, la loi de 1973 qui portait réforme du Code de la nationalité française autorise l'adolescent soit à la demander (sous les conditions que je viens de rappeler) dès l'âge de 16 ans, soit à la refuser à partir de 17 ans. Si un seul de ses parents est né en France, le mineur peut également refuser la nationalité française à partir de 17 ans et demi. Dans les trois cas, le mineur doit avoir l'autorisation de celui ou ceux qui exercent sur lui l'autorité parentale, mais c'est lui -même qui doit faire la démarche de demander ou de refuser la nationalité française.
L'autorité parentale
En matière de filiation, le droit des mineurs est très restreint. Notons cependant que, même mineur(e), le père ou la mère - seul(e), sans l'accord de ses parents - peut intenter une action en recherche de maternité ou de paternité naturelle, dans les deux ans qui suivent la naissance de l'enfant. En revanche, l'enfant devenu majeur pourra, dans les deux ans qui suivent sa majorité, faire établir en justice qui est son père ; mais il aura jusqu'à 30 ans pour faire établir qui est sa mère.
Madame RUBELLIN-DEVICHI a déjà traité de l'autorité parentale : je n'y reviens donc pas, si ce n'est pour noter que l'ordonnance du 23 décembre 1958, qui modifie l'article 375 du Code Civil (et qui s'intitule "ordonnance relative à la protection de l'enfance et de l'adolescence" - c'est la première fois que ce terme d'adolescence apparaît dans un texte législatif), autorise le mineur à ester en justice. L'ordonnance stipule en substance : "si la santé, la sécurité ou la moralité d'un mineur non émancipé sont en danger ou si les conditions de son éducation sont gravement compromises, des mesures d'assistance éducatives peuvent être ordonnées par justice, à la requête, entre autres personnes, du mineur lui-même." Dans ces conditions de danger - le juge des enfants doit en apprécier la teneur et n'intervenir que dans les cas très graves - le mineur peut non seulement saisir le juge et choisir lui-même son avocat, mais il peut faire appel et retourner devant le juge chaque fois qu'il l'estimera nécessaire, pour faire modifier les mesures prises dans ce contrat.
Je signale également que la loi du 6 juin 1984 enjoint de consulter, le mineur confié à l'Aide sociale à l'Enfance, pour toute décision le concernant. Ce n'est pas dire que l'on est tenu de suivre son avis, mais on doit obligatoirement le recueillir.
Soumis à cette autorité parentale, sauf accord de ses parents, à partir de 13 ans, le mineur n'a pas le droit de résider dans un autre domicile que le leur. La fugue n'est pas considérée comme un délit, mais les autorités compétentes, en l'espèce la Police, sont tenues de ramener chez ses parents le mineur en fuite. Il n'en va pas de même dans d'autres pays européens : en Angleterre à partir de 16 ans, au Danemark à partir de 15 ans, en Grèce à partir de 14 ans, en Autriche à n'importe quel âge, le mineur peut quitter le domicile familial sans autorisation de ses parents et n'est pas obligé d'y retourner. Notons au passage que le mineur peut avoir un passeport à partir de l'âge de 15 ans, mais qu'il ne peut l'obtenir qu'avec l'accord de ses parents.
Ceux qui exercent l'autorité parentale ont également un droit de contrôle strict sur les relations du mineur avec d'autres personnes. Ainsi les parents peuvent-ils lui interdire de voir qui il veut. Seuls les grands parents voient leur droit de visite et d'hébergement protégé par la loi.(ce qui est important en cas de divorce ou de séparation). Toutefois le juge peut conférer l'autorisation de voir ou de recevoir le mineur à d'autres personnes, dans des circonstances exceptionnelles.
Je rappelle au passage que, en France, il existe une relative majorité sexuelle à partir de 15 ans (à partir de 14 ans au Danemark, de 15 ans en Suède, de 16 ans en Norvège).
Conséquence de cette dimension de l'autorité parentale et du droit de surveillance qui en est issu, le mineur n'a pas de liberté de correspondance. Ses parents sont donc en droit d'ouvrir son courrier. Cependant le code des P.T.T. déroge à cette disposition, dès lors qu'il demande à ce que les mandats en particulier soient remis en main propre, y compris au mineur.
Examinons maintenant quelques domaines où l'exercice de l'autorité parentale peut poser des questions plus épineuses.
Les soins et traitements
En cette matière il y a lieu de distinguer deux situations. Rien ne s'oppose à ce qu'un mineur aille consulter un médecin sans autorisation de ses parents: cela fait partie des actes de la vie courante qu'il est habilité à faire. En revanche, s'il est nécessaire de donner des soins ou d'engager des traitements qui s'étalent sur une certaine durée, sauf cas d'urgence extrême, le médecin est tenu d'obtenir l'autorisation parentale ; il est aussi tenu de demander l'avis du mineur et d'en tenir compte dans la mesure où il le peut.
Pourtant un double problème se pose dans les cas de grossesse. Avant de pratiquer une interruption de grossesse, s'il s'agit d'une mineure, les médecins sont tenus d'obtenir l'accord des parents. Mais ils doivent entendre la mineure seule. Si celle-ci refuse l'avortement on ne peut pas l'y forcer. Cette obligation d'entendre la mineure seule est (hormis les précisions quant au remboursement par la Sécurité sociale) la seule innovation que la loi de 1979 ait introduite par rapport à la loi de 1975 ; elle s'avère d'ailleurs importante s'il est vrai, comme certains l'ont avancé, qu'il y a chaque année environ 3.000 accouchements de mineures.
Le problème inverse est plus délicat: que peut-on faire quand la jeune fille demande l'interruption de sa grossesse, alors que les médecins n'ont pas l'autorisation des parents ? Le cas peut se produire (alors que les délais d'intervention sont relativement courts) si les parents sont absents : en voyage et impossibles à atteindre, disparus, internés en hôpital psychiatrique, en prison, etc... Pour éviter une paralysie de la loi en pareille circonstance, certains magistrats ont estimé qu'il convenait d'habiliter l'Aide sociale à l'Enfance à donner l'autorisation requise en lieu et place des parents. Or, on sait que la D.D.A.S.S. est généralement favorable, en ce cas, à l'I.V.G. Mais que se passerait-il si un jour elle s'y opposait ?
On se retrouverait dans la même situation que celle qui se produit quand les parents présents s'opposent à l'avortement, alors que la mineure le désire? Le juge peut alors essayer de fléchir ceux qui exercent l'autorité parentale, mais s'ils persistent dans leur refus, il désarmé. Dans les travaux préparatoires à l'élaboration de la loi de 1975, la question du conflit entre les parents et la mineure a été évoquée et il était suggéré que le juge pour enfants ait compétence pour trancher. Mais cette disposition n'est pas passée dans la loi, qui n'apporte pas de solution à ces situations conflictuelles et donc laisse théoriquement libre cours à l'autorité parentale.
On peut se retrouver dans des situations analogues quand le mineur demande qu'on lui administre tel ou tel traitement (par exemple en cas de cancer ou de maladie grave) alors que ses parents s'y opposent et qu'il n'y a pas extrême urgence. Là encore, aux termes de la loi , le juge est désarmé pour faire prévaloir la demande du mineur. Un arrêt de la Cour d'Appel de Nancy, rendu en 1983, indique que, pour passer outre la volonté de ceux qui exercent l'autorité parentale, il faut déclarer qu'il y a carence éducative (ce qui est une chose rare et difficile à établir).
Il se peut que d'autres juridictions soient amenées à se prononcer dans des cas de ce genre. Mais on ne fera pas de la bonne justice en statuant au coup par coup. Le problème du droit du mineur à sa propre santé mérite d'être posé au fond et de faire l'objet d'un projet de loi suffisamment ample et rigoureusement étayé. D'autant plus que les progrès de la médecine s'intensifient (je signale, par exemple, que la loi du 22 décembre 1976 prévoit que le mineur peut refuser qu'on lui prélève un organe aux fins de transplantation).
L'éducation et l'enseignement
Sur ce thème immense, je ne rappelle que les principales dispositions juridiques.
Sauf s'il y a des abus très graves, qui tomberaient sous le coup de l'ordonnance du 23 décembre 1958, ceux qui exercent l'autorité parentale sont pleinement maîtres de leurs décisions. Il faut d'ailleurs savoir que, en dépit du caractère obligatoire de la scolarisation, les parents peuvent l'assurer eux-mêmes (sous réserve d'un certain contrôle exercé par l'Inspection Académique).
Au sein de l'école, la protection du mineur s'élabore peu à peu . Les lois de 1978 et 1979 relatives à la communication des documents administratifs peuvent être appliquées à la communication des copies, des carnets de notes ou des appréciations. La loi du 11 juillet 1979 sur la motivation des décisions administratives s'étend aux décisions prises dans le cadre scolaire. Une réglementation disciplinaire s'est mise en place à l'école, réglementation telle que le mineur a le droit d'être entendu, de présenter sa défense, de choisir son défenseur.
En revanche, on ne lui reconnaît pas la possibilité de faire appel à l'encontre d'une procédure disciplinaire : cette action doit être entamée par les parents.
La religion
L'autorité parentale est également décisive en ce domaine, qui d'ailleurs préoccupe un nombre croissant de juristes. Plusieurs tribunaux ont été amenés à rendre des arrêts en la matière, mais, jusqu'ici, le législateur ne s'est jamais prononcé.
En 1974, au moment où la majorité est passée à 18 ans, le Parlement a été saisi d'un projet de loi prévoyant que, à partir de 16 ans, un mineur puisse choisir librement sa religion. Ce projet n'est pas venu en discussion. Ce silence tranche sur ce qui se passe dans d'autres pays européens: par exemple en Autriche où le mineur peut, dès l'âge de 14 ans, choisir sa religion ; ce choix est également libre en Allemagne à partir de 14 ans, au Danemark, en Suède et en Norvège à partir de 15 ans. Il faut dire que, en France, le passé des guerres de religion est encore très pesant et que, en 1974, les débats suscités par le développement des sectes et de certaines de leurs pratiques n'étaient guère favorables à une modification de la législation en la matière.
Pour leur part, les tribunaux, qui sont parfois saisis de ce problème dans le cadre des divorces et des séparations, se montrent généralement réticents face à la volonté exprimée par celui qui exerce l'autorité parentale d'imposer un changement de religion au mineur (surtout si celui-ci approche de la majorité).
Si l'on excepte l'interdiction légale de prononcer des voeux de religion avant l'âge de 18 ans, la seule allusion aux convictions religieuses des mineurs que l'on puisse relever dans le corpus législatif se trouve dans un décret du 23 décembre 1958, selon lequel le juge ne peut pas être saisi des différends entre le mineur et ses parents en matière religieuse. Les seuls cas où certains juges ont passé outre l'autorité parentale dans ce domaine portent sur des situations où la vie du mineur était effectivement en danger: notamment quand il y avait nécessité d'effectuer une transfusion sanguine, alors que les parents, témoins de Jéovah, s'y opposaient.
Le respect de la vie privée
Le droit à l'image du mineur est protégé par l'autorité parentale. C'est-à-dire que l'on a pas la possibilité de publier la photo d'un mineur sans l'autorisation de ses parents. Cependant, certains tribunaux estiment qu'il faut également obtenir le consentement du mineur, à partir du moment où il est capable de le donner, c'est-à-dire vers 13 ou 14 ans, sans que son acceptation puisse aller à l'encontre d'un éventuel refus de ses parents.
On sait d'ailleurs que le mineur ne peut pas se produire dans un spectacle quel qu'il soit (cinéma, radio, télévision, etc.) sans l'accord de ses parents et celui d'une commission départementale compétente.
Aussi bien, le mineur n'a-t-il pas le droit de donner seul son accord pour que l'on fasse état de sa vie privée (même s'il n'est pas physiquement présent ou représenté) dans une oeuvre littéraire ou artistique; l'autorisation des parents est également requise. De même, on ne peut pas obliger un mineur à produire un écrit aux fins de publication ; et on ne peut pas publier un texte écrit par un mineur sans l'autorisation de ses parents (loi du 11 mars 1957).
L'adhésion à une association
Dans un domaine voisin, je relève que le mineur a le droit (sous réserve du contrôle que ses parents peuvent opérer sur ses relations) de participer à certains groupes ou mouvements artistiques, culturels ou qui proposent des activités de loisirs. Plus généralement, il peut faire partie de toute association constituée selon la loi de 1901. Cependant, un très grand nombre d'entre elles n'admettent pas d'adhérents en dessous de 16 ou 15 ans.
De plus, puisque le mineur est incapable, sur le plan du droit, de passer certains actes ou contrats, il ne lui est pas jamais confié de responsabilités administratives ou de gestion au sein des associations.
L'obligation d'entretien et le travail
L'obligation d'entretien est due par les deux parents. Dans le cas d'un enfant naturel, il n'est pas rare que le père se dérobe. La mère, même mineur, peut alors intenter une action "aux fins de subsides", pour réclamer au père tout au moins la pension alimentaire.
Normalement (article 208 du Code Civil), l'obligation d'entretien se prolonge jusqu'à 18 ans . Cependant, une loi du 29 décembre 1977 prévoit qu'elle peut continuer au-delà quand le fils ou la fille poursuit ses études, sans qu'il y ait à ce sujet d'âge limite : certains tribunaux ont reconnu la légitimité de l'entretien même à 26 ans... Le problème se pose aujourd'hui d'une manière renouvelée dans le contexte social de l'extension du chômage des jeunes, surtout lorsque ceux-ci ne vivent plus chez leurs parents. Les tribunaux saisis étudient alors les situations au cas par cas, en tenant compte de la situation matérielle et financière des parents.
Les parents ne peuvent en tout cas pas obliger le mineur à travailler, a fortiori dans n'importe quelles conditions. Non seulement l'instruction obligatoire a été reportée jusqu'à 16 ans, mais une loi de 1971 prévoit que l'on ne peut plus passer de contrat d'apprentissage sans obtenir le consentement exprès et la signature du mineur.
Dans le cadre de son travail, les droits du mineur ont été étendus. Il peut notamment participer aux élections professionnelles et, depuis 1982, adhérer au syndicat de son choix.
Relevons pour terminer qu'une loi de 1964, portant réforme de la tutelle, donne le droit au mineur de passer tous les contrats que l'usage autorise. Le terme "usage" est en l'occurrence difficile à définir : il s'apprécie au cas par cas, en fonction de l'état des moeurs, des pratiques sociales, etc. Cependant le mineur reste protégé, car, s'il est lésé, il est toujours possible de faire annuler le contrat en question.