Laissons les enfants se libérer...

Compte-rendu d'une intervention lors des rencontres AMP en Limousin, aout 2006


Pour me présenter rapidement, j’habite dans une ferme collective sur le plateau de Millevaches en Limousin et je suis instit depuis 5 ans. J’ai travaillé plusieurs années à Nantes dans une école de ZEP, gérée plutôt de manière collective et avec des pratiques de pédagogie nouvelle. Je fais moi-même partie du mouvement Freinet depuis 5 ans. Cette année je travaillais dans un Institut Médico-Educatif avec des enfants de 8 à 11 ans dits « déficients intellectuels légers avec troubles du comportement ».

Je partage pour une grande partie l’analyse que fait Sylvie sur l’état de l’école et sa fonction. L’idée d’une société sans école est plutôt pour me séduire car je pense que l’éducation et l’instruction sont l’affaire de touTEs et qu’il faut en finir avec la spécialisation et la professionnalisation.

Aujourd’hui, on en vient à tout professionnaliser. Avons-nous réellement besoin d’animateurs-rices pour nous animer? d’éducateurs-rices pour nous éduquer ?

Tous ces boulots, apparus récemment (quelques dizaines d’années) révèlent que le but est de déposséder l’individu de la maîtrise de sa vie et toutes ces préoccupations qui autrefois été l’affaire de la communauté entière, deviennent le domaine réservé de quelques unEs.

En revanche je ne défendrai pas l’idée de l’instruction à la maison car à mon sens, elle place la famille au centre de la vie, ce qui pour moi, revient à remplacer une institution par une autre. On considère de façon générale que la famille est une forme instinctive d’organisation sociale, condition sine qua non du bon développement psychologique et affectif des enfants. C’est encore une norme sociale profondément ancrée. Or, pour moi-même vivre dans un collectif où il y a des enfants, j’ai plutôt l’impression qu’un enfant s’épanouit s’il est entouré d’amour, point. Considérer la famille comme l’espace indispensable pour l’épanouissement d’un enfant, c’est comme dire que le couple est la condition sine qua non de l’épanouissement de l’individuE. La famille excelle à créer des rôles prédéterminés plutôt que d’établir les conditions qui permettront à l’individu de prendre en charge son autonomie. Je me méfie de cette famille car c’est un espace où il est plus difficile de remettre en question les rapports d’autorité puisque considérés naturels.

Je suis également attachée à l’idée que les enfants puissent avoir des espaces de vie autonomes, en dehors du regard des adultes qui vivent auprès d’eux. Bien sûr l’école n’est pas seule en mesure de proposer cela. J’ai rencontré pas mal d’enfants contents de venir à l’école pour pouvoir se permettre d’être différent, et des parents surpris d’apprendre que leur enfant n’était pas le même à l’école et à la maison.

Je constate que de nombreux parents aimeraient connaître tout de la vie de leurs enfants et j’ai plusieurs fois dû leur expliquer qu’il fallait qu’ils acceptent que leurs enfants aient une part de vie secrète.

Pour les enfants c’est important d’appartenir à un collectif au sein duquel ils se construisent en relation avec les autres. Les enfants doivent pouvoir choisir avec qui ils ont envie de construire du collectif et ce n’est pas aux adultes, qu’ils soient profs ou parents, d’en décider ou d’essayer d’influencer. C’est sûr que dans les écoles – de ville surtout – c’est plutôt une homogénéité de classes sociales qui règne (écoles du centre ville, écoles de quartier), c’est sans doute moins vrai dans les écoles rurales. Dans les écoles alternatives se retrouvent des enfants issus du même milieu, un peu comme pour les enfants non scolarisés. Ce qui m’intéresse plus globalement quand on parle d’éducation, d’enfants, etc... c’est de réfléchir à la manière dont on considère les enfants. Dans nos sociétés, les enfants sont reconnus pour ce qu’ils seront et non pour ce qu’ils sont, ils pourront comprendre quand ils seront grands. Comme le dit Catherine Baker, « L’enfant est un projet, un projet de ses parents, de son entourage, de la société ». C’est une évidence que les adultes sont supérieurs aux enfants, et que c’est naturel. Les enfants sont vus comme des êtres faibles et ignorants qu’on doit éduquer.

Je pense qu’il faut reconsidérer le statut des paroles d’enfants. Que ce soit sur l’école ou tout autre chose qui concerne leur vie ils devraient pouvoir être les premiers à décider. Leur parole est souvent entendue comme quelque chose de touchant et d’exceptionnel alors que c’est juste une façon pour eux d’intervenir sur leur vie.

Que faire aujourd’hui alors ? Là je suis bien embêtée, je n’ai pas de recettes miracles. Je ne me leurre plus du tout sur la possibilité de changer le système scolaire de l’intérieur. Dans ma société idéale l’école en tant que telle n’existerait plus. En tant qu’instit j’ai vécu des moments super chouettes au sein d’une équipe qui travaille avec les familles, une école où la parole des enfants est reconnue et prise en compte, une école intégrée à la vie du quartier, des fous rires, des engueulades, des questionnements, des choses apprises ensemble. Mais je me suis aussi sentie isolée à d’autres endroits, dégoûtée par le non respect des enfants de la part des adultes qui y bossent, et bien sûr je me suis surprise à adopter des comportements que j’exècre juste pour sauver ma peau.

Maintenant que j’habite dans un petit village de campagne, j’observe un peu comment la vie s’organise autour de moi. Ici les instits ne sont pas seulement des instits ils/elles sont aussi des habitantEs du village, comme les parents, les enfants, les non parents. Comme il y a moins d’élèves souvent les classes regroupent des enfants d’âges différents.

L’école est le lieu où tous les enfants se rencontrent quelle que soit leur classe sociale, et du coup les adultes s’y mélangent également. L’école peut donc être le lieu où les gens brassent d’autres gens que leurs amis, par exemple les « néos » et les « locaux ». D’accord c’est un peu bab' mais là je me dis que peut-être ça vaut le coup d’y mettre de l’énergie et que s’y investir peut permettre de faire évoluer les pratiques. Puisque évidemment, il y a toujours des choses qui font grincer les dents...

A.