Le statut de mineur-e


Synthèse

La discussion a démarré sur le “constat” que le statut de mineur fait vivre tous les citoyens de nos démocraties au sein d’une sorte de régime totalitaire pendant les 18 premières années de leur vie, ce qui a des conséquences terribles pour beaucoup, douloureuses pour presque tous.

Pour répondre aux objections que ce constat a soulevé, on a retraversé un certain nombre de points abordés les jours précédents : prise de conscience des processus à l’oeuvre, légitimité et moyens d’une lutte politique, etc.

Puis on a parlé de quelques groupes qui ont lutté sur ce terrain, et on a débattu de ce qu’on pourrait mettre en oeuvre.

Propositions

  • Création d’un groupe politique d’abolition du statut de mineur-e-s / d’obtention de la majorité à la demande
  • Création d’un site internet d’information sur la question de la domination adulte type enfance-buissonniere.poivron mais construit davantage à l’attention des mineur-e-s
  • Création d’une page facebook ‘abolition du statut de mineur’
  • Création d’un réseau légal d’accueil de mineur-e-s avec le consentement des parents au sein de familles, de lieux collectifs, ou en voyage, et visibilisation de ce réseau (site internet, etc.) : « mineur-e-s en mouvement »
  • Trouver un avocat
  • Faire des vidéos et les diffuser par exemple sur U-tube
  • Faire un état des lieux des lois et des luttes concernant le statut de mineur / la domination adulte etc. dans les pays européens
  • Mieux référencer le site ‘enfance-buissonnière.poivron’ sur google

Déroulé

La discussion débute après un long tour de parole sur les rapports intimes au genre dans les souvenirs d'enfance et de vie de chacun – tour de parole très riche pour lequel on n'a pas pris de note – en revanche on s'est dit plus tard qu'on en referait un du même genre sur nos rapports intimes à la question de l'âge.

Introduction à la discussion par Y. : Le statut de mineur est une donnée fondamentale qui conditionne la vie des moins de 18 ans, et qui est à l'origine d'une bonne part du fossé adulte/enfants. Christine Delphy s'éberlue dans un de ses textes d'avoir assisté à un congrès de sociologie sur les jeunes personnes sans qu'à aucun moment ne soit abordée la question de leur statut : on ne part pas de la situation sociale réelle, mais d'une « nature » d'enfant et d'adulte...

Lecture de l'introduction de "Ni vieux ni maître" de Claude Guillon ; le passage énumérant toutes les conditions et obligations : « scolarité obligatoire, etc... » décrit assez bien le statut de mineur et met en évidence l'existence d'un régime totalitaire spécifique aux mineurs : quel sens peut avoir une démocratie où les individus passent les 18 premières années de leur vie dans un régime totalitaire

un régime totalitaire

De chaque côté de la barrière majeur/mineur, on est pris dans le système : on ne choisit pas plus adulte d'être dominant qu'enfant...

Il semble que l'école et la famille constituent les 2 principaux pôles d'enfermement et de contrainte soutenus par un système social cohérent. On ne sort pas indemne de 18 ans d'infantilisation : ça casse la confiance qu'on peut développer en soi – Bien sûr il y a des lignes de fuite – mais on sort quand même laminé-e, affaibli-e...

Ce statut-là nous coupe la vie en deux : jusqu'à 20 ans on apprend, après on travaille. Ce n'est pas seulement oppressif, c'est absurde. Le bonheur, ça dépend de beaucoup de choses... mais la liberté, ça dépend peut-être de nous.

Ce qui nous contraint, ce n'est pas seulement la soumission aux maîtres que la soumission à la norme, l'ordre social des pairs, de la classe : la conformité au modèle des camarades – à tous les âges – parce qu'on n'a pas la possibilité d'expérimenter autre chose : alors on a peur de la vie, de l'avenir, on manque de confiance en ses possibilités de faire quelque chose... on a peur d'échapper à la norme.

La peur, c'est le ciment de l'ordre social. La première guerre mondiale, c'était la première guerre de l'histoire où il y a eu très peu de désertion... c'était 30 ans après l'institution de l'école obligatoire.

Intériorisation et méconnaissance de la domination, stratégies et débrouilles dans un régime totalitaire

L. témoigne des petites débrouilles de ses ami-e-s pour grapiller des bribes de liberté en cours ou pour échapper ponctuellement aux parents, et de leur réaction quand elle essaye de leur parler de leur statut: « c'est normal, c'est bien pour nous, c'est pour nous protéger ! ». Une réaction possible des opprimés : plaire au maître plutôt que de critiquer le maître.

  • L : « Ils intériorisent la domination. Ça donne envie de leur taper dessus »
  • Ça peut-être aussi une stratégie pour grapiller davantage justement / ou bien un rapport inconscient
  • Mais qu'est-ce qu'on fait du coup par rapport aux mineurs qui s'en foutent ?
  • « Moi je ne savais pas... avant ma majorité, je n'avais pas conscience des possibilités d'alternatives. »
  • G : « c'était quoi la réaction des autres quand tu as arrêté l'école ? »
  • L : « beaucoup pensent que c'est une erreur. Je défends le truc... mais c'est démoralisant de voir que beaucoup prennent la fuite face au réel : les fêtes, les pétards... »
  • Le : « maintenant même si ça ne sert à rien, j'ai quand même envie de continuer à étudier... mes parents me disent tous les matins 'si tu veux tu n'y vas pas' – et moi je continue pour me prouver que je peux aller plus loin »
  • N : « C'est pas parce que j'ai la possibilité de m'extraire du système que je ne peux pas y faire mon chemin selon ma volonté. Par exemple moi qui ne travaille pas, si j'avais la possibilité de faire un travail chouette et auquel je crois, le refuser, ce serait obéir à d'autres normes. Le but c'est plutôt de prendre mieux conscience des oppressions et de cheminer avec ça. Mais ça n'est pas parce que j'ai conscience des questions de genre, par exemple, que je ne "performe" pas le genre féminin – seulement je comprends un peu mieux les tenants et les aboutissants de ce que je fais."

Justification de la domination

"Ce n'est qu'un passage..."(l'oppression agiste, tout le monde s'en trouve libéré avec l'âge"). Sauf ceux qui y passent : avant d'en être libérée, elle fait quand même pas mal de victimes. Ce genre d'argument paradoxal peut justifier n'importe quelle oppression, et en fait, il est carrément révoltant. C'est perçu comme une question mineure, on ne prend pas en compte les souffrances et ce qui se passe réellement.

"… nécessaire..." ("on n'est pas un homme d'emblée, on le devient à travers l'épreuve, les enfants sont infantiles, immatures ! comment les enfants s'empareraient-ils d'un pouvoir auquel ils ne sont pas préparés ?") C'était l'argument de ceux qui étaient partisans de repousser l'abolition de l'esclavage, le temps de former les esclaves ! Mais encore une fois, la lutte en elle-même transforme ceux qui luttent et tous ceux qui en entendent parler.

"… C'est un peu pour votre bien aussi" Tout système de contrainte est toujours légitimé par de bonnes raisons : la colonisation était légitimée par la civilisation, de même que la domination adulte, par le bien de l'enfant.

Ce "passage" ne se termine pas d'ailleurs avec le fait d'avoir 18 ans : il y a la barrière de la majorité, mais pas que... « moi à 20 ans, je ne suis toujours pas considérée, prise au sérieux quand je parle etc... »

Dialogues avec une barrière au milieu

  • la loi nous prive de tout pouvoir de décision
  • mais sur quels critères peut-on donner la majorité ?

  • selon la volonté de l'individu
  • faut-il pas être opprimé pour se libérer ensuite de l'oppression ? La frustration est intéressante !

  • pourquoi alors ne pas inventer des prisons libres, où chacun pourrait aller essayer l'enfermement pour le plaisir de s'en libérer quand on voudrait ?

Comment lutter contre ce statut ?

Ce n'est pas utopique, il faut se souvenir qu'il y a cinquante ans les femmes aussi étaient mineures ! (ça faisait donc dans les ¾ de la population avec les enfants, les sous-tutelles, d'une certaine façon les pauvres...)

On soulève la question du mode d'action politique : agencements au sein du système en place versus tentative de changement du système. Mais y aurait-il à choisir?

N. fait le parallèle avec la liberté de circulation des femmes avant les luttes féministes, et remercie les femmes d'avoir choisi un mode d'action politique qui a permis l'évolution du droit. La loi est un élément plus ou moins déterminant d’un système global. Le changement de loi permet des choses mais n'est pas suffisant, il reste que les personnes devront se penser comme ayant accès au monde. Les femmes ne se sont pas toutes emparées de leur liberté légale !

Pour Ni., le problème est qu'il y a cette norme sociale majoritaire et en face des individus avec des prises de conscience : comment faire ? Comment parler aux autres, les emmener ? Quelles organisations inventer ? Des organisations collectives qu'on puisse rejoindre, par exemple des maisons occupées, : plus il y en aura, plus ça donnera envie aux autres d'y participer. Ces moyens-là, des occupations de squats, des productions de CD avec distribution gratuite, etc... c'est plus puissant que l'action sur le droit : comme moyens de luttes il y aurait l'informatique, la vidéo sur U-tube, les liens internet... mettre en place des ateliers audio-visuels

Pour Y, l'essentiel est que la lutte naisse, pas (seulement) pour ses objectifs, mais pour ce qui se passe pendant la lutte (et ça n'exclue pas les agencements quotidiens bien sûr) Lutte en l'occurrence contre le système de coercition agiste et pour l'abolition du statut de mineur !

Il y a un gros problème lié à la clandestinité obligatoire... les jeunes en rupture de ban, ça représente 100 000 personnes en france ! Ça semble dingue qu'un mineur en fugue d'une famille où il est maltraité, accueilli chez des gens où il est bien, soit hors-la-loi... Il y aurait peut-être là un levier médiatique intéressant, parce que ça pourrait paraître choquant à pas mal de monde, comme situation. Il faudrait que les fugueurs puissent choisir leur lieu, parce que les foyers institutionnels...

Il serait intéressant de faire l'état des lieux des lois et des luttes concernant les mineurs en europe. Et même sans attendre de pouvoir s'occuper des fugueurs, on pourrait commencer par monter un réseau de famille et de lieux collectifs en ville ou en campagne, qui accepteraient d'accueillir des mineurs avec le consentement des parents... c'est légal et c'est déjà mieux que rien.

On a évoqué l'idée de chercher un-e avocate qui travaillerait sur le droit des enfants, pour se protéger en cas d'accusation, ou pour bidouiller des arrangements dans des situations limites 

Exemples d'organisations et de lutte

Dans les 70's, il y a eu un mouvement, "Mineurs en lutte" : 2 nanas d'un camp d'ados autogéré, après une fugue, avec certains des monos, ont squatté la fac de Vincennes et ont monté un groupe où ils ont produit des journaux ('le Péril Jeune')... c'était une organisation de mineur-e-s avec des revendications claires sur leur statut. elles ont été soutenues par une partie de la gauche et certains philosophes, il y a eu des articles dans libé, meeting au zénith etc...Ça a capoté quand Vincennes a fermé – ils avaient le soutien de trop peu de profs – et puis il y a eu une histoire de détournement de mineure – les journaux à sensation ont publié des trucs sur des orgies sexuelles... Le mouvement ne s'est pas suffisamment étendu, il y a eu quelques comités dans certaines villes, mais pas autant que le féminisme. C'était la fin des 70's, la fin d'une période d'agitation... il y a eu aussi la question de la pédophilie.. et puis elles n'étaient plus mineures : c'est le problème aussi par rapport à cette question.

Y parle d'un lieu en Allemagne où il a vécu : « il y avait sans cesse du monde, parce que c'était le seul lieu non-institutionnel... on cachait les enfants... les 10 premières années, il y avait une perquisition par semaine, et ils n'ont pas trouvé la cache... quand ils l'ont trouvée, quelqu'un a fait un an de taule... les jeunes se cachaient là, ou bien ils étaient exfiltrés dans un réseau de famille (comme pour les esclaves en fuite, ou les sans-papiers), ou on leur passait du fric pour voyager... on avait essayé de s'implanter au portugal, parce qu'ils avaient une législation plus facile...»

Autres exemples d'organisations : un groupe en belgique à Löwe, parti d'une grève scolaire, qui a diffusé l'info sur l'école non-obligatoire avec une critique politique anarchisante (S) / le groupe Krätze en allemagne, un groupe au nicaragua (N) / les lascars du LEP électronique, avec les pions et les élèves (Y) / les maisons d'enfants soutenues de l'extérieur ( Ni)...

On n'a même pas peur de gagner

pour N « la force de libération peut être joyeuse, mais la joie ne disparaîtra pas si je n'ai plus à me libérer de ce qui m'oppresse, elle sera là directement dans autre chose, dans la création, que sais-je ? »