Le roi déchu

Rien ne va plus au royaume du roi Papipila. Il voudrait enlever sa couronne mais elle est collée sur sa tête. Les sujets du roi Papipila proposent de lui couper la tête pour lui enlever sa couronne. Mais cette idée ne lui plait pas trop... Ses conseillers lui proposent de couper les têtes de ses sujets pour sauver la sienne. Mais cette idée lui plait encore moins...

Il est seul au sommet de la plus haute tour de son château à moité désert. Tous les serviteurs du roi Papipila sont occupés à faire semblant d'être occupés. Les gouvernantes sont de mauvaise humeur ; Les courtisanes et les courtisans ne lui parlent plus ; Ses ministres sont en grève et personne ne veut jouer avec lui.

Pourtant, quand il est apparu tout le monde l'admirait. Il fut consacré roi tout de suite et on venait de très loin pour le voir. Ses sujets disaient qu'il était magnifique, que c'était le plus beau et le plus intelligent du monde. Il ouvrait la bouche et tout le monde applaudissait. Ses ministres approuvaient toutes ses décisions.

Il n'avait rien à faire: il était porté du matin au soir. Serviteurs et gouvernantes s'affairaient pour qu'il ne manque jamais de rien. Il était vêtu, nourri, soigné, dorloté sans avoir à rien réclamer.

On accourait aussitôt qu'il pleurait et on tombait à genou quand il souriait. On s'émut à n'en plus finir la première fois qu'il monta sur le trône.

On l'avait couronné, on lui avait construit son château, on l'avait paré de beaux habits, on organisait des fêtes et des jeux en son honneur.... Pour ses sujets, il était le centre de l'univers, la lumière du monde ou l'élu des dieux. Et voilà qu'on lui demandait de renoncer à tout cela, de déposer sa couronne, de sortir de son château, devenir un simple mortel parmi les autres. Autrement dit on lui demandait de renoncer à lui même. Plus facile à dire qu'à faire...

Cela avait du commencer le jour où sa première servante lui lança comme un défi: « tu pourrais m'aider à débarrasser la table? » Sur le coup , le roi Papipila n'y vit aucune malice et accepta comme s'il s'agissait d'un jeu. Mais après cet incident il y eut de plus en plus de demandes bizarres.

Il allait bientôt devoir se laver lui même, s'habiller lui-même, manger proprement, ranger sa chambre, ne plus courir dans les couloirs du château, arrêter de pleurnicher, sourire bêtement, ne plus crier, mordre, taper ou tirer la queue du chat.

Et toutes ces nouvelles fonctions s'accompagnaient de long discours moralisateurs ou de réprimandes pénibles.

Ses ministres et conseillers désapprouvaient de plus en plus ses choix politiques. Lorsque le roi Papipila envisageait une réforme elle était aussitôt qualifiée de bêtise et généralement censuré.

Quand il avait voulu redécorer un mur du château, on lui avait alors confisqué son feutre indélébile.

Un jour une vieille courtisane édentée lui avait offert un bonbon en public. Le roi avait alors accepté l'offrande simplement parce qu'il aimait bien les bonbons. Mais la foule s'en était offusqué. Un serviteur l'a alors saisi par le bras en demandant d'une voix courroucée: « qu'est-ce qu'on dit? » Alors par diplomatie et pour calmer la foule qui menacait de se révolter le roi déclara: « merci, mamie! » ce qui eut pour effet immédiat de détendre l'atmosphère. On échangea des sourires convenus et des soupirs de contentement... La foule était rassurée.

Les sujets de sa majesté appelaient ces rituels étranges de la bonne éducation ou de la politesse. Mais pour Papipila cela signifiait la perte de son pouvoir absolu, le début de la fin de son règne.

Bientôt on lui refusait des tartines beurrées, on l'obligeait à se lever et à se coucher à heure fixe, il devait finir son assiette avant de quitter la table et se brosser les dents avant de se mettre au lit.

Puis vint ce jour horrible où sa majesté Papipila fut emmené par la garde impériale à la roiternelle. Là se retrouvaient enfermés tous les rois des royaumes voisins. Il y avait le roi Tientoidroi, la reine Silence, sa majesté Mouchetoi, le prince Métonpull et la princesse Dimerci...

Tous et toutes se trouvaient contraints d'obéir aux ordres d'une vieille gouvernante qui les harcelait avec des activités sans queue ni tête pleines de chiffres et de lettres.

Ils n'avaient que très peu de temps pour prendre de véritables décisions ou exercer leur pouvoir. Ils devaient pour cela employer les moyens les plus bas: séduction, menaces, coups, cris, morsures ou tirage de cheveux. Et comme la plupart se voyaient réprimés par la vieille gouvernante, seuls les plus rusés et les plus faux-culs avaient une chance de s'en sortir à la roiternelle.

De retour au château, il fallait encore se plier aux lois et protocoles de la cour qui devenaient de plus en plus exigeants. Difficile dans ces conditions de continuer à gouverner.

Et quel désarroi, quand on a été roi, admiré et obéi par tous et toutes, de se retrouver ainsi esclave de ses serviteurs, prisonnier dans son château, méprisé par ses ministres, et menacé par son peuple.

Papipila était d'autant plus triste qu'il n'avait personne avec qui pleurer. Personne ne voulait le plaindre. Chaque fois qu'il voulait faire part de ses difficultés il s'entendait dire: « Arrête un peu de pleurnicher! » ou « Tes caprices ne changeront rien! » et même des « mais de quoi tu te plains ? C'est toi le roi! »

Un soir qu'il se retrouvait puni pour avoir tenté de conduire seul le carrosse royal, le roi Papipila décida de faire le mur du château, de quitter ce royaume où il n'avait plus aucun pouvoir et d'aller arpenter le vaste monde.