Avant-propos
Ces textes sont le fruit de lectures, de rencontres, et de discussions avec des femmes, des parents, des mères, des professionnels de santé, dans le cadre de réflexions sur la place des femmes au sein d’une société en proie à une médicalisation et une technicisation croissantes.
Une société où la domination masculine, et celle des experts, des industriels et des institutions restent considérables, même après des années de luttes féministes. Nous voulons réfléchir à la maîtrise que les femmes pourraient avoir sur les événements qui les concernent d’abord en propre, qui touchent à leur corps, à l’intime, à leur vie. Ces réflexions autour de l’accouchement cheminent autour de questions sur la maternité, l’avortement, la contraception, l’allaitement, ou encore « l’accompagnement » des enfants.
L’espace de la mise au monde d’un enfant n’échappe pas aux transformations qui structurent les sociétés modernes, qu’il s’agisse de la fragilité des alternatives au modèle dominant ou de la dépossession des femmes de leurs grossesse et accouchement.
Sélectionner le patrimoine génétique de son futur enfant (la couleur de ses yeux, de ses cheveux, etc.) devient aujourd’hui possible avec des innovations scientifiques telles que la procréation médicalement assistée. Commander un enfant sur mesure pourrait être à portée de main, et les évolutions en matière de contraception nous laissent penser que l’on serait maître dans le choix de devenir mère ou non. Légalement, les femmes peuvent choisir la manière dont elles veulent accueillir leur enfant, et aujourd’hui il est de bon ton d’informer autour de cette notion du « choix ».
Pourtant, les évolutions propres aux sociétés industrielles nous ont conduits à remettre beaucoup de notre liberté entre les mains des médecins, et ont imposé progressivement un accouchement hypermédicalisé. Le texte, « naissance sous contrôle », pensé et écrit à plusieurs, a d’abord été publié dans la revue Z*. Son ébauche a été contemporaine d’une polémique survenue en Ariège, autour de la mort d’un nouveau-né, accouché à domicile. La sage-femme qui a participé à l’accouchement avait été mise en examen pour « exercice illégal de la profession de sage- femme » (elle n’était pas diplômée en France), avec interdiction de s’occuper de tout nouvel accouchement, d’approcher les femmes enceintes. Condamnée en mars 2010 à douze mois de prison avec sursis et un euro de dédommagement symbolique pour l’Ordre national des Sages- Femmes. Ce fait-divers a donné lieu à une avalanche de propos odieux et mensongers dans la presse locale puis nationale, sur les différentes formes d’accouchement qui se distinguent de la norme actuelle. Il a été l’occasion d’un déchaînement de la part des médecins et experts médicaux en tout genre à l’encontre des femmes, et sages-femmes tentant de se réapproprier le monde de la naissance
Nous le faisons suivre par des témoignages de femmes, de mères, très marquées par les discours crapuleux qui ont pu circuler lors de cette polémique, et la mise en examen de la sage-femme. Elles ont souhaité réagir en posant des mots sur leurs expériences propres et leurs ressentis.
Nous avions réfléchi à cette époque, à la manière de répondre à cette attaque contre les femmes et leur exigence de pouvoir décider de ce qui les concerne si intimement.
Une attaque lancée par le corps médical, les médecins, l’Ordre des sages-femmes, relayée par les médias, achevée par l’arsenal répressif et judiciaire. Demander un droit de réponse dans la presse n’aurait fait que rajouter du grain à moudre à ces crapules. Nous ne ressortons ces écrits que maintenant, alors que la sage-femme a été condamnée.
D’autres encore depuis, qui tentent d’accompagner dans leurs choix les femmes souhaitant accoucher en dehors des structures hospitalières, subissent des pressions, des poursuites judiciaires. Le traitement médiatique de cet événement ne nous a pas tant étonnées, mais nous a rappelé l’importance de recreuser ces questions, et de diffuser des écrits autour de nous par nos propres moyens.
Des échos, plus récemment, de proches racontant leur sentiment de s’être fait « voler » leur accouchement, nous ont encore rappelé cette nécessité : faire circuler des témoignages, des analyses autour de l’accouchement, car il semble bien que, plus que jamais, nous ne pouvons compter que sur nous-mêmes pour tenter de nous réapproprier cette histoire.
Nous rajoutons un texte d’une sage-femme québécoise qui pose elle aussi des mots sur le processus de médicalisation de la naissance. Ses propos documentés complètent l’analyse de la mutation d’un événement intime et « naturel » vers une prise en charge technique et médicale, où nos envies, nos sentiments n’ont que peu de place. Ces différents textes ne se proposent pas de construire un inventaire des différentes « possibilités » qui existent en matière d’accouchement. Car si l’information est importante, nous pensons qu’aujourd’hui, particulièrement, il faut aussi, et peut-être d’abord, réfléchir aux raisons de notre dépossession, pour avancer mieux armées, se montrer plus résistantes. Reprendre la transmission de savoirs et savoir-faire. Construire les éléments d’une réappropriation de nos vies en même temps que lutter contre ce qui nous dépossède de nos existences.
* « Le Premier Cri ou la standardisation de la naissance », Z, revue itinérante d’enquête et de critique sociale. Numéro 1, printemps 2009.