Quand les enfants avaient des ailes

Il était un temps où les enfants naissaient ailés. Oui, ailés : avec des ailes! Quelle chance vous dites-vous ?! Malheureusement, ce n'est pas ainsi qu'ils le vivaient : sitôt qu'un enfant naissait, son entourage mettait en oeuvre toute une panoplie d'opérations pour éviter que les ailes ne se développent naturellement et ne prennent leur ampleur naturelle. Ces pauvres petites ailes d'enfants, à peine nés, étaient ainsi repliées sur elles mêmes, taillées, ensérrées dans des corsets; tout comme on le ferait d'un arbre dont on eut voulut qu'il se transformasse en bonzaï! Or donc, voici l'histoire d'un petit enfant qu'on pourrait appeler Aziz, ou Aziza, parce que l'histoire ne dit pas s'il s'agissait d'un garçon ou d'une fille...Cet enfant était né avec une superbe paire d'ailes : à l'opposé de ces enfants de plus en plus nombreux qui naissaient avec une paire d'ailes amputée, incomplète, ou bien encore une seule aile, ou bien enfin -et ceux là, aziz ou aziza les enviait beaucoup- pas d'ailes du tout, ou juste des petits moignons là, derrière, au niveau des omoplates. Non, aziz, ou aziza, n'avait « pas eu de chance »; c'est ce qu'on disait dans son entourage : une superbe paire d'ailes comme un attribut de sa monstruosité. Quand il était petit, et avant qu'il ne soit confronté au regard des autres et qu'on lui fasse prendre conscience de sa « différence », de sa difformité, il aimait sentir ses ailes ouvertes derrière lui, et quand on essayit de les lui plier, de les enserrer, quand on lui interdisait de les toucher ou de « jouer avec »-comme on disait-, il demandait encore « pourquoi », de sa petite voix d'enfant. Alors, on lui répondait tantot : « pour ne pas les salir », tantot : « pour ne pas les abimer »; mais très vite, et comme il grandissait et que ses ailes grandissaient derrière lui, les réponses changèrent et devienrent plus souvent : « parce que ça ne se fait pas » ou « parce que c'est mal élevé », ou encore « parce que », un point d'exclamation et rien de plus! Alors, à force de cotoyer des enfants dont les ailes étaient astucieusement camouflées, cachées, enserrées, repliées, ou encore taillées, tronquées, rabougries – sans parler de ceux qui avaient eu la chance d'en être dépourvu !-, il finit par trouver cela normal de ne montrer ni toucher ses ailes en public. Et il faisait tout son possible pour les cacher : les pliant, les serrant, les taillant, mais jamais le résultat final ne le satisfaisait : ses ailes à lui étaient vraiment particulièrement amples, larges, et colorées qui plus est ! Moralité : on ne voyait qu'elles! Et plus il s'entêtait à vouloir les cacher, plus on ne voyait qu'elles! Il en souffrait donc, d'autant plus que, ni les explications reçues, ni le fait de voir tout ceux qui l'entouraient cacher leurs ailes, ne le convainquait vraiment sur le bien-fondé de cette auto-mutilation. Surtout que le soir, il faisait des rêves. Il rêvait d'un monde où les gens ne cachaient pas leurs ailes, où cela ne choquait personne de voir des ailes déployées derrière un dos, ni de voir quelqu'un se gratter ou se lisser les plumes. Ah ça ! Quelle extase de se lisser les plumes, ces plimes si souvent maltraitées, enserrées, étouffées, taillées : dans ses rêves, il les lissait amoureusement, soigneusement; et puis dans d'autres rêves, elles s'ouvraient toute grande derrière lui ses ailes, et elle se mettaient à le soulever dans les airs, et il volait, ses ailes battant l'air ou glissant sur des courants aériens, et il volait ! Il s'élevait, et à mesure qu'il s'élevait, il voyait la terre s'éloigner, et les gens, les maisons rapetisser en même temps qu'il s'élevait ! Ses parents le trouvaient souvent par terre, le matin, les ailes déployées derrière son dos, frémissantes, comme si elles avaient volé pour de vrai ! Et ils étaient inquiets, ne sachant que faire, que proposer à leur enfant pour l'aider, pour le débarasser de cette difformité... Un jour, ils lui en parlèrent : écoute, mon enfant, nous avons des choses à te dire, c'est à propos de tes ailes... Il ne dit rien et retitn son souffle...

  • Oui, on voit bien qu'elles te gênent,

reprirent-ils : tu es la risée du quartier, tout le monde se moque de toi, et il n'y a pas moyen de les cacher convenablement, comme tout le monde,... alors, nous avons pensé que peut-être tu pourrais aller à l'hopital pour qu'on te fasse une opération et qu'on te les coupe, un peu,... ou qu'on te les enlève complètement , c'est possible tu sais, maintenant ils font ça très bien, et c'est sans douleur ! Elle n'avait pas finit de parler que l'enfant était déjà partit en courant vers la porte d'entrée de la maison, qu'il ouvrit avant de bondir aussitôt dehors. Son père voulut le rattraper en courant deerière lui, mais quand il fut sortit de la maison, il vit son enfant déjà loin, courant comme sans toucher terre, et plus il le voyait courir, plus il lui semblait qu'il décollait, jusqu'à ce qu'il comprit ! Ils comprirent tous les deux en même temps : le père et l'enfant : il était en train de décoller : il s'envolait pour de vrai ! Il sentait ses ailes battre dans son dos, comme dans ses rêves, mais ce n'était plus un rêve ! Il voyait la terre s'éloigner et les maisons et les gens rapetisser comme dans ses rêves, mais ce n'était plus un rêve ! Il vola ainsi un long moment, jusqu'à ce que ses ailes commencent à se fatiguer : pour la première fois depuis qu'il était né, ses ailes faisaient ce pour quoi elles étaient faites; mais elles manquaient d'entrainement ! Il était très haut dans le ciel lorsqu'il commença à se rendre compte qu'il commençait à perdre de l'équilibre et de la vitesse, à avoir du mal à trouver l'équilibre, et il commença à dégringoler, ne cherchant plus qu'à ralentir sa chute, seule chose qu'il était encore capable de faire avec ses ailes épuisées ! Il tomba ainsi et atterit, sans trop de dommages, dans un champ, très loin de la ville, et près d'un vieil arbre. A peine eut-il reprit ses esprits qu'il entendit une voix derrière lui lui demander : - ça va ? - oui, ça va, mais qui es-tu ? se retournant il vit l'arbre, et il ajouta : et comment un arbre peut'il parler ? et toi, lui répondit l'arbre, peux tu me dire : comment un enfant peut il voler ? L'enfant se retourna soudain derrière lui pour regarder ses ailes : ses ailes si longtemps contenues, qu'il dallait sans arrêt tailler comme on taille des ongles devenus trop longs, si souvent enserrer dans des corsets, plier, froisser, tordre,... Et là, bien qu'ayant perdu quelques plumes dans sa chute, il les voyait ouvertes, splendides, touts déployées, flottant au vent, prêtes à se laisser emporter par le premier nouveau courant d'air. c'est grace à elles, finit il par répondre en désignant ses ailes. Et il se mit à pleurer, repensant encore une fois à toutes ...ces annéesoù il avait fallu les cacher, les couper, en avoir honte; puis ses pleurs devinrent des cris, et ille hurla : "mais pourquoi m'ont-ils fait ça ?! Pourquoi ?!" - "cela est ainsi depuis des générations, lui répondit l'arbre : chaque génération nouvelle le transmettant à sa descendance : ce sont tes parents qui t'ont appris comment il fallait les ensserer, les mutiler, comment il fallait les porter en horreur, en avoir honte, de même que l'avaient fait leurs parents à eux -tes grands-parents à toi; et ainsi de suite depuis la nuit des temps. - "Mais ça ne me dit pas pourquoi ! reprit le jeune garçon, toujours sous le choc de sa découverte sur ses ailes. - "Je ne peux te le dire avec certitude : peut-être pour se différencier des oiseaux et des autres animaux, pour marquer leur supériorité sur eux, les êtres humains ont-ils peu à peu tenter de gommer toute trace d'animalité en eux : ils ont appelé cheveux et barbes les poils qui leurs poussaient sur la tête et sur le visage et ils les ont taillés; ils se sont mis à marcher sur deux pattes qu'ils ont appelé jambes; ils ont aussi taillées leurs griffes quand ils les ont appelé ongles; toujours est-il qu'un jour l'un d'eux a du déclaré que les ailes étaient choses hideuses, honteuses, et qu'en tant que telles il ne fallait plus qu'elles soient vues. - "Et cet homme a trouvé des gens pour croire en ce qu'il disait ? - "Malheureusement...oui. Qui par paeur, qui par intérêt... - " Et... il ne s'est jamais trouvé personne pour dire qu'il n'était pas d'accord, que les ailes étaient faites pour voler ? - "Si, bien sur, mais toujours une minorité : pauvre minorité qui fut toujours et partour persécutée, pourchassée, exécutée. Tu vois, ceux qui disaient au contraire que les ailes étaient faites pour voler étaient présentés comme dangereux, diaboliques, mauvais; et, en tant que tels, il fallait les éliminer,...ou les faire rentrer dans le rang. - "Mais pourquoi seule une minorité réagissait, pourquoi pas la majorité, pourquoi pas tout le monde ? - "Je te l'ai dit : la peur d'aller à l'encontre de l'opinion commune chez certains, l'intérêt à la défendre pour d'autres ont permis à ces croyances de se perpétuer et de devenir des règles intouchables; c'est pourquoi les chefs et les rois ont toujours des gardes et des armées : pour faire peur à ceux qui ne sont pas d'accord avec eux -elur faire peur et les tuer, si besoin est! Et puis, petit à petit, les gens ont fini par intégrer la croyance selon laquelle les ailes étaient choses honteuses et hideuses : parce que leurs chefs le leurs disaient, parce que leurs prêtres le leurs disaient, parce que leurs parents le leurs disaient, parce que leurs voisins et amis le leurs disaient... - "Et si tout le monde le disait, c'était que ça devait être vrai ? questionna le enfant; - "Exactement, répondit l'arbre. - "Mais ce n'ats pas vrai ! reprit l'enfant - "Je le sais...et tu le sais aussi, maintenant. dit l'arbre. - " Et pourquoi...de plus en plus de gens naissent sans ailes, ou avec une seule aile, ou les ailes tronquées, plus courtes que les miennes ? Pourquoi sont-elles si longues les miennes ? - "ça, c'est une question de génétique : l'être humain a serré, caché, taillé ses ailes depuis tant et tant de générations que celles-ci sont en passe de disapraître : leur inutilité, leur superfluité les pousse génétiquement à l'auto-disparition ! Ainsi les enfants sont-ils de plus en plus nombreux à naître comme tu l'as dit : sans ailes, ou avec une seule aile, ou encore les ailes incomplètes, ou plus petites que les tiennes. Mais ce n'est pas le cas de tout le monde : certains, come toi justement, naissent dotés d'une superbe paire d'ailes : deux ailes complètes, parfaitement en mesure de te faire voler ! Et il est probable que, si l'humanité continue à se rogner les ailes comme elle le fait depuis tant de générations, les enfants naissant avec une paire d'ailes telle que la tienne seront de moins en moins nombreux, jusqu'à deveneir des "anomalies" génétiques, comme ces enfants qui naissent, encore aujourd'hui, avec une queue ! oui, une véritable queue prolongeant leur colonne vertébrale, comme c'est le cas chez tant d'animaux ! - "Mais pourquoi moi ?! Pourquoi est-ce tombé sur moi ?! Et qu'est-ce que je vais faire maintenant ?! - "Pourquoi toi ? Qui peut le dire ? Hasard, ou destinée ? Je ne peux te le dire... En revanche, je peux te dire que ces ailes qui se tiennent derrière ton dos portent en elles toutes les possibilités : si tu te sens maudit parce que tu as des ailes, elles seront ta malédiction, et jour après jour, tu regretteras le jour où tu es né (avec ces ailes); peut-être finiras-tu par te faire amputer (les êtres humains font ça très bien maintenant parait-il...); si en revanche tu te sens béni parce que tu as des ailes, elles eront ta bénédiction, et jour après jour tu remercieras le sort qui t'a fait naître avec elles. Mais, plus probablement, tu remarqueras que tu oscilleras entre ces deux sentiments : certains jours, tu te sentiras tiré-e vers le bas par ces ailes qui seront alors, comme celle de l'albatros lorsqu'il est à terre, trop lourdes à porter pour toi et trop encombrantes; et, d'autres jours, plus nombreux je te le souhaite, grace à elles tu t'élèveras dans le ciel et tu te sentiras libre et léger comme le vent."

Ce furent les derniers mots de l'arbre. L'enfant ne lui posa d'ailleurs pas d'autres questions. ils restèrenet dans le silence un moment avant qu'un fort bruissement d'ailes ne vint sortir l'enfant de sa méditation. Il leva les yeux au ciel et vit une nuée d'oiseaux, de toutes tailles et de toutes espèces tourner et virer. Y avait-il même des humains parmi eux ? la distance et l'éclat du soleil couchant ne lui permettaient pas d'en être certain. Aziz, ou Aziza, se releva,, ouvrit ses ailes, inspira profondément, et s'éleva dans les airs en direction de ses amis ailés.