Questionner l'éducation


Prolégomènes

On s'était proposé de faire un débat précédé d'une courte présentation de ce qui nous pose problèmes dans la notion d'éducation ; elle apparaît trop souvent comme une évidence incontournable, un besoin qui ne se questionne pas, au même titre que le besoin de protection, de soin, de limites...

Qu'est-ce qui est problématique dans la notion d'éducation ?

L'éducation est un projet sur l'autre. Cela signifie que nécessairement celui qui est éduqué n'est pas considéré comme "abouti", "bien", "parfait", puisque l'éducateur souhaite l'amener ailleurs, l'amener à autre chose, faire de lui quelque chose d'autre que ce qu'il est. En ce sens, on peut penser que l'éducation, en tant précisément que projet sur l'autre, est nécessairement dévalorisante pour celui qu'on se propose d'éduquer. Et ce regard dévalorisé que pose l'éducateur sur l'éduqué est nécessairement perçu, et très généralement intégré comme juste, par l'éduqué.

En outre, ce projet se fait pratiquement toujours en niant ou en amoindrissant les besoins de l'éduqué (puisqu'il est « ignorant ») tout en valorisant la puissance et les fantasmes de l'éducateur (qui lui est « savant »). « L'éducation n'est bonne que pour l'éducateur. » Alice Miller

L'éducation a pris toute la place dans les relations entre adultes et enfants. Tout devient « éducatif » : les échanges, les expériences, les jeux, les sanctions... Ce qui rend totalitaires les rapports d'éducation.

Dans la pratique, c'est une colonisation qui induit le mépris de soi et de l'autre. Ça veut dire :"ce n'est pas bien, comme tu es ; ce n'est qu'après [être passé par le processus éducatif] que tu seras plus élevé, plus libre". On affirme toujours que c'est pour le bien de l'individu qu'on l'éduque, alors que c'est pour maintenir un ordre social. On réplique des mercenaires qui reproduisent les schémas sociaux et maintiennent une société figée sur des normes, des identités, des rôles, des hiérarchies. L'éducation, c'est l'acceptation d'être formé et instrumentalisé pour des fins autres que les nôtres. Historiquement, l'éducation s'est confondue avec l'idée de progrès, de civilisation. Idées qui ont servi pareillement à justifier les autres formes de colonisation.

Est-ce qu'on pourrait s'en passer ?

Est-ce qu'il n'y a pas une forme de « naturalisme » dans l'idée de non-éducation ? Est-ce que à la base de la remise en question de la notion d'éducation, il n'y a pas l'idée que la non-éducation serait « naturelle », que les choses devraient être comme ça et pas autrement, dans un ordre normal que l'éducation dérangerait, artificialiserait ? Soit qu'on considère alors que l'enfant serait un-e apprenant-e né-e de toutes situations de la vie, soit qu'on imagine qu'il existe un état sauvage et pur, une conscience non civilisée, non éduquée qui serait là avant d'apprendre... ?

Y. pense (contrairement à C. Baker) qu'il y a nécessairement des rapports d'éducation – toujours au sens d'avoir un projet sur l'autre – entre les êtres, mais que ce peut tout à fait rester dans une très faible mesure et que ce n'est pas obligé du tout que ça prenne 100% des relations avec les enfants. Il disait même que ça pourrait certainement être réduit d'un bon 99% !

Est-ce que l'éducation c'est forcément négatif ?

N. s'interroge : tous les rapports d'éducation sont-ils aussi « néfastes » ou bien est-ce lié à leurs formes, leurs contextes... ? Par exemple, ça ne la choque pas si un musicien transmet son savoir-faire à son enfant dans un rapport éducatif contraignant...

Pour d'autres, c'est seulement acceptable si la demande vient de l'enfant.

Un parent témoigne du besoin d'apprentissage formel (par exemple d'un sujet spécifique, sur une table et dans un temps limité) que peuvent exprimer ses enfants non-scolarisés.

On distinguera l'influence, par la parole, par sa propre pratique, par son cadre de vie, par des rencontres du fait d'être dans une logique « éducative ». On peut exercer une influence sur les autres sans pour autant être dans un rapport éducatif.

Peut-être que le problème vient de la manière dont c'est fait. L'éducation aujourd'hui hérite de son lourd passé où elle a toujours été associée au pouvoir, à l'autoritarisme. Et donc elle n'a été vécue jusqu'à présent que sous des formes contraignantes, imposées...

Peut-être que les projets de pédagogies non-autoritaires, centrés sur les besoins de l'apprenant, permettraient d'admettre un rapport d'éducation qui soit réciproquement enrichissant et qui laisse à chacun-e sa liberté.

Quelqu'une cite un exemple : Une petite fille arrache les feuilles d'un arbre. Un témoin en a « mal au coeur » et se demande « comment l'aider à prendre conscience de ses actes sans induire une morale... » ; elle choisira d'utiliser une analogie : « arracher les feuilles de l'arbre, c'est un peu comme si on t'arrachait les cheveux. » La personne estime que c'est un bon exemple (la petite fille a cessé d'arracher les feuilles) du fait qu'il s'agissait d'une invitation à respecter la nature mais qui lui laissait sa liberté. Bref, l'éducation pourrait être « une influence positive sans autoritarisme ni contrainte »...

Éducation subie vs éducation choisie

Avant même les questions d'éducation, il y a la question du choix. L'éducation ne serait pas un problème si les éduqués avaient le choix de quoi, où, quand, comment, avec qui recevoir une éducation... Mais dans la relation enfant/adulte, de fait l'adulte a une position de dominant, en détenant une autorité instituée par la société. Le fait est que les enfants sont assignés socialement et juridiquement à des milieux, des rôles, des gens... les enfants, de par leur statut, n'ont pas le choix, ils dépendent du bon vouloir des adultes.

L'éducation est obligatoire au sein de l'école : c'est le premier reproche qu'on puisse lui faire. Ce reproche vient en premier parce que si elle ne l'était pas, ses autres défauts (initiation au conformisme, réplique des normes et des stéréotypes, soumission à l'autorité, classes d'âge, tests d'aptitude, sélection socio-économique, sabotage de la confiance en soi, démotivation d'apprendre, ennui, hiérarchie, loi du plus fort, etc.) n'auraient pas tant besoin d'être critiqués, dans la mesure où ils seraient « choisis » par celles et ceux qui y iraient (s'il y en a alors qui auraient envie d'y aller...), de même que ses pseudo-qualités (initiation à la vie collective ? sortir de la famille ? décloisonnement social ? formation généraliste ? intégration civique ?) seraient ré-évaluées à l'aune des autres possibilités de trouver les mêmes services ailleurs (dans un contexte plus chaleureux, par exemple...).

Le problème est exactement le même dans les familles qui veulent se ré-approprier cette éducation : peu importent après tout les méthodes éducatives si seulement elles peuvent être choisies en toute connaissance de causes par les enfants, c'est-à-dire si les enfants peuvent réellement avoir le choix d'aller expérimenter ailleurs, de multiplier les points de vues sur le monde et sur les différentes façons d'apprendre à y vivre... Or ce choix est subordonné à ceux des parents, eux-mêmes influencés par le cadre légal (en france les parents ou tuteurs légaux sont responsables pénalement de l'instruction de leurs progéniture jusqu'à 16 ans).

Ainsi, beaucoup plus que la forme ou la manière de pratiquer une éducation, ce qui compte c'est l'intention avec laquelle on aborde nos relations. Le plaisir de partager un savoir, une connaissance peut être complètement dissocié de l'intention d'instruire ou d'éduquer.

L'éducation est partout !

Y. signale que c'est le caractère omniprésent de l'éducation qui est destructeur. C'est le fait d'être inclus (de force) dans un projet totalitaire qui est inacceptable la-dedans.

Pensons à tous les objets de puériculture (oui, rien que ce mot c'est tout un programme...) : tout dans ces objets (le design, la matière, la texture, les couleurs, le poids, le son qu'ils font, la maniabilité, la jouabilité...) a été conçu pour le progrès de l'enfant, pour son développement psychomoteur attendu, bref pour ce qu'il « doit » devenir... Et il n'y a pas que les jouets, mais aussi toute une littérature, des albums, des journaux, des émissions de télé, des cahiers de vacances, toute une culture porteuse d'un même projet éducatif.

L'éducation : un projet existentiel ?

En plus de ce caractère omniprésent et totalitaire de l'éducation , il y a un projet existentiel derrière : ON donne un sens à ta vie, à tes jeux, à ton évolution, à tes relations, à ta présence... ON t'impose une narration... Il devient très difficile de se penser soi-même en dehors de la linéarité qu'on nous a apprise (tu nais -> tu grandis -> tu apprends -> tu sais -> tu travailles -> tu produis -> tu consommes -> tu vieillis -> tu meurs).

L'éducation : un accès au monde ?

N.,dans le rôle de l'avocat du diable : On doit d'abord laisser aux enfants la capacité d'avoir accès au monde. Autrefois, seulement les hommes avaient droit à l'éducation. Au-delà du fait qu'on s'est battu-es et que certain-es se battent encore pour y avoir accès, chacun-e devrait pouvoir accéder aux mêmes signes pour décoder son environnement. Tenir compte de notre privilège de pouvoir mieux comprendre et analyser les mécanismes de cette société devrait nous inciter à permettre aux enfants d'y accéder aussi.

De toutes façons, les enfants, et tous les êtres vivants à priori, ont un accès direct au monde tel qu'il est, par le biais de leurs propres percepts, affects et intellects... Les « éduquer » c'est les tirer vers le monde tel qu'on le comprend, c'est avoir des attentes, un projet... Ce n'est pas leur permettre « d'accéder au monde ».

L'idée que les enfants pourraient nous apprendre à voir le monde avec « innocence » ou « tel qu'il est » revient à prêter des qualités intrinsèques spécifiques aux enfants ; une telle idée accompagne la domination, c'est même en tant que telle une forme de domination.

Les anglais distinguent clairement "to teach" (enseigner) et "to learn" (apprendre) ; il n'ont pas cette ambigüité qu'on a en français, entre apprendre (comme processus d'acquisition d'un savoir) et apprendre (comme moyen de transmission d'un savoir).

Une certitude : apprendre quelque chose, on le fait pour soi. Il est impossible d'apprendre quoi que ce soit à quelqu'une qui ne veut pas apprendre, à moins d'avoir recours à la torture mentale (ce qui est malheureusement souvent le cas).

L'éducation : un besoin ?

A. signale qu'il y a une transmission de la conscience qui est nécessaire. Par exemple en ce qui concerne la rareté de l'eau (qu'on a dû longuement puiser soi-même lors des Rencontres). Un enfant n'en a pas forcément conscience et risque donc de la gaspiller. Il a donc besoin d'explication, pour ainsi dire d'éducation.A. mentionne également que dans sa pratique de la simplicité volontaire, il se trouve souvent dans un rapport d'éducation vis-à-vis d'autrui. Pour lui, l'exemplarité est un projet d'éducation respectueux de chacun-es.

L'éducation: une mauvaise idée ?

L'éducation est contre-productive en matière d'apprentissage. B. estime que le fait qu'elle soit intervenue dans les processus d'apprentissages de la lecture de son fils (par des dictées Montessori) a peut-être retardé son acquisition, alors que pour elle-même, c'était très agréable et valorisant.

L'éducation à l'autonomie : un paradoxe ?

Qu'est-ce qui permet d'accéder au réel ? D'abord permettre de devenir autonome concrètement : apprendre à s'adapter au monde dans lequel on est : comment accéder à se nourrir, se protéger, habiter, se vêtir... ?

Dans nos sociétés, c'est aussi apprendre à s'insérer socialement, accéder à des diplômes, connaître le salariat, savoir négocier avec un patron, des entreprises... Apprendre à se soumettre (ce que fait très bien l'école)...

Un véritable accès à l'autonomie alimentaire (en dehors des contingences économiques) par exemple est quasi impossible dans une société où on est tous divisés... En Amazonie peut-être...

Une différence nette doit être faite entre « dispenser le savoir » et « permettre l'accés au savoir».

Voir autrement ?

Refuser les rapports d'éducation, c'est admettre qu'on n'est pas détenteur d'une vérité qui serait supérieure ou plus juste que celle de l'autre. Par exemple A. connait un adolescent psychotique qui obtient ce qu'il désire par « téléchargement mental» et dit que ça fonctionne ; c'est simplement décalé par rapport à notre vision classique des choses...

Peut-on refuser l'éducation ?

Le « unschooling », au sens où l'emploient les Anglo-Saxons, apparaît comme bien plus que le fait de simplement « déscolariser » son enfant. C'est aussi « se déscolariser soi-même », c'est-à-dire défaire ce qu'il y a de scolaire dans notre façon d'appréhender la réalité : notamment, cesser de diviser nos savoirs en domaines de connaissances, cesser de considérer nos pratiques selon une évolution rationnelle de compétences, modifier notre façon de juger, d'évaluer, de catégoriser, de dissocier le vrai du faux... Mais c'est aussi « déscolariser la société », c'est-à-dire refuser de laisser nos relations dépendre de l'influence du scolaire : la spécialisation par professions, le regroupement par classes d'âge, le cloisonnement des cultures et des milieux sociaux... et plus généralement de ne pas laisser l'éducatif s'imposer entre soi et le monde.

Donc pour les Anglais on parlera par exemple de situation "unschooly" dans le cas d'une rencontre ou d'une situation qui bouscule nos préjugés et nos échelles de valeurs habituelles, comme lors d'une communication intense avec un être d'une autre espèce, ou bien encore un accident qui nous oblige à remettre en question nos habitudes de fonctionnement, etc.

Le "unschooling" peut être perçu comme le fait d'aller vers l'inconnu sans se référer au connu. C'est donc plutôt une disposition qu'une philosophie. A ce titre on peut le rapprocher de certaines pratiques de déconditionnement ou de désapprentissage telles qu'on en trouve dans certaines traditions mystiques (zen, tantra, soufisme...) ou certaines pratiques artistiques (clown contemporain, danse Butô...) et qui sont aussi des techniques de conscientisation de « qui nous sommes » au-delà de « qui nous croyons être ».

L'autodidaxie, admise comme le fait de déterminer soi-même le contenu, la forme et l'usage d'un apprentissage, est aussi une façon pertinente de saboter les rapports d'éducation. Dans la mesure où lorsque l'apprenant-e détermine lui-même (ou avec de l'aide) quoi, avec qui, où, quand et comment apprendre... il peut se retrouver dans des situations de co-apprentissages, de partage des connaissances, de groupes d'échanges de savoirs, etc., autant de formes qui ôtent à la transmission de savoirs ses aspects totalitaire et autoritaire.

L'apprenant s'autonomise d'abord et apprend ensuite (l'inverse d'une éducation)... si bien sûr l'apprenant-e ne tombe pas dans le piège de s'auto-exploiter et de s'auto-limiter pour devenir plus performant-e dans un projet d'auto-entreprise rentable ayant intégré la nécessité d'huiler chaque jour efficacement le maillon essentiel de la machine capitaliste : «l'individu».

Par ailleurs...

On développera plus tard et ailleurs tout ce qui à trait à :

Apprendre hors éducation ?

On s'est dit que les expériences d'apprentissages partagées hors institution (y compris familiale) étaient plutôt rares et peu encouragées alors qu'elles apparaissent essentielles.

Le projet, en cours dans la région de Brocéliande, que des non-parents passent du temps avec un groupe d'enfants sur le long terme, une fois par semaine sans leurs parents, a été présenté comme étant aussi un projet politique incluant une critique de la prédominance des parents, de l'éducation conventionnelle, du salariat, etc.

Il fut exprimé l'inquiétude qu'avant un certain âge les enfants n'exprimaient peut-être pas l'envie ni le besoin de ce genre de regroupement et que peut-être le cadre choisi par les non-parents (un jour par semaine, toute la journée en se levant tôt) n'était pas le plus adéquat pour des tout-petits...

Du pain sur la planche...

Et puis après tout ça on s'est dit :

  • Il faudrait mettre en lien toutes ces expériences de partages avec des enfants hors des cadres institutionnels...
  • Il faudrait écrire à jean Hervé (fournisseur de Chocolade Crunchy et de kokolo

    et réclamer le 1% de son chiffre d'affaire qu'il emploi à scolariser des enfants à haïti car comme il est dit sur ce site de http://www.aide-aux-enfants-haiti.org/association.php "C’est en donnant de l’éducation aux enfants qu’un pays peut se reconstruire, sans école il n’y a pas d’avenir ! Nous vous remercions du fond du cœur du soutien que vous pourrez apporter à ces enfants."

  • Il faudrait visibiliser la culture « unschooly »
  • Il faudrait attaquer la belle image du scolaire dans les publications pour la jeunesse
  • Il faudrait mettre en place des propositions concrètes pour permettre à des non-parents de prendre le relais au besoin et à la demande (des enfants...)
  • Il faudrait faire un truc dans le cadre de la JIPLI le 15 septembre (hah !)
  • Il faudrait mettre en lien les personnes agées qui peuvent avoir besoin et envie de transmettre leur expérience de la vie avec les jeunes personnes qui peuvent avoir envie et besoin de connaître l'expérience des « ancien-nes »