Questionner les limites
Compte-rendu Brocéliande juillet 2010
Avertissements
Avertissement 0 : Les avertissements sont optionnels…
Avertissement 1 : Ce compte rendu est une reconstitution subjective des discussions à partir de souvenirs et de prises de notes aléatoires il n’est donc pas toujours fidèle ni forcément très neutre, en plus j’ai tout mélangé !
Avertissement 2 : Ce texte emploie encore le terme « enfant » malgré qu’il soit particulièrement mal à propos et imprécis la plupart du temps … mais c’est parce que c’est celui qui a été utilisé le plus souvent dans les discussions et qu’on ne sort pas si vite de ses habitudes de langage et donc des catégories qu’il incarne…mais aussi parce que « mineur-es» tombe parfois comme un cheveu sur la soupe quand ce n’est pas que l’aspect d’appartenance à une catégorie juridique qu’on voudrait souligner mais aussi un à-peu-prés du développement physiologique d’un individu. Et puis que de désigner les personnes par la tranche d’âge approximative à laquelle on se réfère n’est pas forcément plus pertinent et encore plus lourdingue au niveau du style…
Avertissement 3 : Ce C.R est « anonymisé » : c’est toujours « ON » qui parle – à part quelques « Je » cités entre guillemets… et ça aussi c’est discutable…
Quelles limites on se fixe pour parler de limites ?
On s’est donc proposé de discuter cette fameuse notion de « limites ».
Entre autres parce que ça revient souvent dans les discussions sur toutes les pratiques non-autoritaires, l’écoute des ressentis, tous les « efforts » de bienveillance des parents et l’accompagnement des enfants en général…
On s’est d’abord donné un cadre tous ensemble avant de se diviser en petits groupes : le préalable était de définir un peu cette idée de limite, dans quel(s) contexte(s) on a l’impression d’en avoir besoin et quand est-ce que ça devient contraignant ou invivable…
Du coup de se demander :
- Comment est-ce qu’on questionne ses propres limites ?
- Comment est-ce qu’on les dépasse au besoin ?
- Comment est-ce qu’on fait face aux limites des autres quand on n’a pas les mêmes ?
- Comment font la plupart des enfants quand ils se trouvent face aux limites des adultes ?
- Comment faisons-nous quand nos limites sont questionnées par d’autres et plus précisément par des enfants ?
Qu’est-ce qu’on entend par « limites » ?
On constate qu’on ne définit que très rarement voire pas du tout ses propres limites a priori (avant d’y être confronté-e)… Il y a ce qu’on accepte ou pas (se faire frapper , avoir mal…) et c’est différent de pouvoir dire : « Mes limites sont là ! »
La perception des limites dépend du cadre, du contexte, du moment…
« Sa propre limite » semble un truc personnel, plutôt irrationnel. ""ça peut dépendre de notre humeur, ça peut être fluctuant…""
Les limites associées à un danger (risque d’accident etc…) ne se définissent pas comme les limites « dictées » par la société (interdits, lois…)
On peut distinguer selon les situations les limites infranchissables des limites négociables.
“On peut aussi distinguer les limites infranchissables qui seraient des valeurs, les limites partagées qui seraient des règles et les limites modulables, négociables…”
“On peut différencier les limites personnelles qui sont plutôt fluctuantes des limites inscrites dans les individu.es et dans les relations sociales qui sont plutôt rigides, structurelles.
La transgression des limites personnelles entraîne plutôt des négociations alors que pour les limites structurelles çà amène plutôt des sanctions, des rappels à l’ordre.”
Une question à se poser aussi est comment tu te poses tes propres limites ?
Et comment tu les poses aux autres ?
Et inversement comment tu les dépasses ?
Comment tu deviens disponible ?
Qu’est-ce qui nous limite ?
On est limités dans nos expériences sur le monde par l’éducation qu’on a reçue (« ça tu peux le faire, ça non ! ») et par les croyances qui en découlent, tout ce qu’on suppose – alors qu’on n’en sait rien puisqu’on n’a pas fait l’expérience.
On est limités aussi par nos propres expériences et les conclusions qu’on en tire ( « alors ça c’est toujours désagréable, ça j’ y arriverai jamais… »)
Trouver ses propres limites ?
Si On ne donne pas de limite à un enfant est-ce qu’il s’en met tout seul ?
« Par exemple pour l’usage de drogues ou d’alcool, mes parents ne m’ont jamais mis de limite, alors je me les suis mises moi-même. »
Est-ce que l’âge à une importance la-dedans ?
“A 6 mois t’as pas les mêmes moyens pour appréhender ton corps et l’espace autour qu’à 6 ans…”
Est-ce que l’âge est une limite ?
“Y a aussi des trucs que je peux plus faire à cause de mon âge, mais c’est mon corps qui le détermine pas un bouquin sur « Prendre conscience de ses limites après la trentaine… »”
Est-ce qu’on peut se limiter soi-même ?
Est-ce qu’on peut éviter de le faire ?
Une limite qu’on se pose à soi-même est-elle différente d’une limite qu’on nous impose ?
Est-ce qu’une limite choisie est toujours une limite ?
A t-on besoin de limites ?
Quand a t-on besoin de limites ?
Est-ce qu’on a besoin de poser des limites à un enfant ?
Certains soutiennent qu’il vaut mieux le laisser mettre les doigts dans la prise ou toucher le poêle brûlant en l’informant du risque plutôt que de lui interdire d’expérimenter par lui-même. D’ailleurs ça n’empêche pas de poser des prises avec « sécurité enfant » ou de ne pas laisser dépasser les manches de casseroles… On peut limiter les risques et accroître les possibilités d’expériences…
Est-ce qu’un enfant a besoin de limites ?
« Par exemple j’ai peur de sauter en parachute, c’est une limite qui me permet d’éviter de le faire, ça tombe bien je n’ai pas forcément « besoin » de sauter en parachute… »
Peut-être qu’il a juste besoin de repères…
Est-ce que c’est réellement un besoin pour se construire ?
« Savoir que mon corps a des limites physiologiques ou que mes parents ont des limites intellectuelles ou que leur patience est limitée pourrait m’aider à mieux appréhender ce monde… »
(Qu’est-ce qu’un besoin ? Qu’est-ce qu’un enfant ?)
Limites choisies, limites subies ?
Pour certains parents poser des limites permet « d’impulser une éthique » aux enfants. Mais si elles sont « imposées » ça ne fonctionne pas…
La limite imposée est vécue comme une contrainte. La limite choisie est perçue comme une nécessité organisationnelle.
Il semble que pour poser des limites de façon à ce qu’elles soient respectées, il faille servir d’exemple, et y « croire » soi-même (par exemple : se coucher tôt, ne pas passer des heures devant l’écran…)
« Adapter le cadre, plutôt que l’enfant »
Comment questionner ses propres limites ?
Les limites des « parents » sont souvent liées à leur ressentis émotionnels (peurs, impatience…), à des projections (anticipation des risques, suppositions : « Tu va tomber… ») et à des croyances (« S’il ne sait pas s’arrêter maintenant il n’arrivera à rien dans la vie… »), donc particulièrement fluctuantes.
Faire face au sentiment d’échec et de culpabilité de l’adulte qui ne parvient pas à poser de limite. Admettre qu’on ne sait pas tout, qu’on n’est pas « parfait » (même si ça déçoit l’image idéale de soi).
Les enfants questionnent nos croyances, nos valeurs.
Les enfants nous poussent à nous écouter à nous respecter.
Il est plus productif de se remettre en question que de tenir tête à celleux qui testent nos limites.
Tester les limites est un bon moyen d’élargir sa conscience .
Les comportements des enfants bousculent la morale de la société des parents…
Une autre bonne piste: « se laisser vivre, les laisser vivre » ?
Partager nos limites ?
Instaurer des règles communes (même implicites) est une façon de partager ses limites.
Enfants et adultes navigueraient dans des territoires différents : les enfants seraient plus attirés par le jeu, les adultes auraient plus souvent besoin de « rationnel »… : changer de territoires, franchir ces limites entre nous, rentrer dans le mode de l’autre…
Tenir compte des limites de chacun-es.
Certaines limites personnelles ne sont pas adéquates à la situation et certaines personnes ont des limites incompatibles entre elles …
""Si les adultes montraient plus leurs émotions (quelles émotions?) quand il y a des choses qui les dérangent, ce serait plus compréhensible pour les enfants ?""
On distingue des interactions de création, des interactions d’expérimentation…Comment vivre ces interactions sans que ce soit enfermant ?
Comment dépasser nos limites ?
Est-ce qu’on a besoin de dépasser les limites ?
Est-ce que les limites servent à être dépassées ?
Si oui est-ce que les limites sont absolument nécessaires à leur dépassement ?
Est-ce qu’il y a des limites inutiles ?
« A l’âge que j’ai, j’ai l’impression de me faire chier dans la vie. Quand je dépasse une de mes limite, ça remet du piment dans ma vie ! » Est ce que le dépassement de limites peut servir à re-pimenter sa vie ? À sortir de ses habitudes (de faire, de penser et de percevoir…) ?
Par exemple la jalousie c’est une sacrée limite, ancrée très profondément…
« On a parfois l’impression de dépasser des trucs mais en fait non, parce que c’est pas QUE en nous, c’est AUSSI chez les autres et tu franchis jamais une limite définitivement, tu négocies avec elle, tu fais des allers-retours… »
En tous cas pour ce qui a trait à l’amour libre et le dépassement de notre éducation affective…
« Je ne crois plus au dépassement collectif… moi je le prends vraiment comme un travail personnel et intime. »
Est-ce que « mes » limites sont vraiment « mes » limites ?
Est ce que cette dissociation entre le JE et le NOUS est une limite tabou ?
Est ce que les limites d’un individu c’est tout ce qui le définit comme tel ?
Et est-ce que les limites d’une société, ses interdits et ses tabous, la maintiennent telle qu’elle est ?
Et que donc pour qu’elle puisse changer, elle doit d’abord justement pouvoir les remettre en question ?
Est-ce que la faculté de changer est proportionnelle au fait de pouvoir questionner ses propres limites ?
La plupart des gens (nous y compris) semblent avoir du mal à questionner leur limites, à pouvoir se remettre en cause, à changer… Parce qu’on n’en a pas envie ? On a peur ? Peur de l’inconnu ? Qu’est-ce qui arriverait si on changeait ?
Aussi parce qu’on se dissocie facilement de « la plupart des gens » alors que « la plupart des gens » c’est aussi « nous ».
La plupart de « nos » limites ne semblent pas avoir été construites par « nous », elles semblent là depuis toujours…On n'y touche pas parce que : « c’est évident », « c’est naturel », « c’est comme ça », « c’est la loi », « faut des règles »…
Dépasser nos propres limites de langage…
Un enfant qui aime acheter ? Est-ce parce qu’il est (devenu) « matérialiste » ? Ou est-ce qu’il questionne l’abondance ? L’accès à tout ? Tandis que nous gérons de la rareté ? Le budget du mois ?
Le langage ouvre des possibles…Percevoir et cultiver l’intention, ne plus projeter ses valeurs sur l’autre.
- Je veux cette boîte ! - Non on va acheter autre chose ! - Elle est toute petite cette boîte… T’auras des bonbons à ton anniversaire C’est aujourd’hui mon anniversaire ! »
« - Il veut des bonbons … - Non il veut jouer avec les couleurs… »
Fiche pratique
On n'est pas obligé de consommer à Mc Do pour aller jouer dans leur structure de jeux si colorée, si attrayante…
Et beaucoup de dispositifs de gratuité sont mis en place par les entreprises pour attirer les enfants, parce qu’ils sont censés être accompagnés d’un adulte avec un porte-monnaie … On peut très bien profiter de ces services gratuits sans tomber dans le piège qu’il y a derrière (payer)…
“Repousser ses propres limites bouscule celles des autres ! ”
« On n’a pas envie de sortir de ses limites parce qu’on est bien dedans ! » « J’ai envie de garder mon fourgon, de vivre comme je vis, ça me va… »
« Et puis à quoi ça sert que je fasse un effort si les autres continuent a ne pas en faire ? C’est vrai, ça sert à quoi d’être bon élève si tous les autres sont des cancres ? »
Là, après une petite digression autour de l’intérêt politique des solutions individuelles,
L’anecdote du bus
- Un jour je monte dans un bus, je veux négocier un trajet gratuit avec le chauffeur, j’argumente en disant « de toutes façons tu y vas à cette station, ça change quoi un voyageur de plus ?
- ha oui mais si tout le monde faisait comme vous, comment qu’on paierait le gasoil, l’entretien du bus et mon salaire ? demande le chauffeur
- Ton salaire t’en aurais plus besoin puisque tout serait gratuit, l’entretien du bus pourrait se faire par ceux qui aiment la mécanique, mais pour le gasoil, je crains qu’il va falloir qu’on pédale…
- Bah moi je veux bien pédaler mais eux (il fait un signe pour désigner les passagers), ils voudront jamais…
- Bah je vais leur demander… Bonjour madame vous seriez d’accord pour pédaler pour qu’on puisse tous voyager gratuit ?
- Moi je veux bien pédaler mais comment vont faire ceux qui peuvent pas ?
- Ho au nombre qu’on est y aura bien la place d’emmener celleux qui peuvent pas pédaler…
- Dans ce cas moi je veux bien mais je vais vous dire: « personne ne sera jamais d’accord »…
Quand j’ai eu fini de demander à tout le monde et que tout le monde m’a répondu la même chose: « ha moi oui, j’suis d’accord, mais les autres ils voudront jamais… »
j’ai gueulé : « faudrait peut-être voir à se dire les choses ! Parce que dans ce bus tout le monde à l’unanimité est d’accord pour pédaler mais tout le monde sans exception est persuadé que les autres voudront jamais ! »
Après je suis descendu, c’était ma station, le chauffeur m’a souri.