Scènes inversées

Compte-rendu d'un atelier - rencontre Brocéliande juillet 2010


Ici je rends compte approximativement et subjectivement de quelques bribes choppées lors d'un temps de rencontre intitulé : "les scènes inversées"

L'idée de départ était de rendre lisible, autrement que par de la discussion, des mécanismes de la domination adulte en inversant les rôles enfant/adulte dans des situations problematiques. On voulait aussi faire intervenir des outils issus du "théâtre forum" (reprendre la même scène, questionner le ressenti des protagonistes, proposer des issues, les tester en jeu, ...)

Une premiere scène se joue à moitié improvisée entre les rires : l'adulte (qui joue un enfant) fait mine de mordre, de griffer et de tirer l'oreille d'un enfant (qui joue l'adulte) / l'enfant ordonne à l'adulte d'aller lui chercher une bière. Ce dernier rétorque qu'il n'a pas envie / l'enfant veux obliger l'adulte à aller à l'école, mais il n'en a pas envie non plus.

Autre scène : un enfant force un adulte à prendre son bain. Lorsque finalement l'adulte cède il voudrait savoir comment on fait les bébés.

On constate que le dispositif ne fonctionne pas. L'inversion des rôles créée et le fait qu'il y ait une majorité d'adulte brouille la lecture du rapport dominant-es/dominé-es et ne permet pas d'explorer les intentions sous-jacentes. On reprend donc la même scène mais cette fois-ci chacun-e garde son "rôle".

Pour contraindre l'enfant à prendre son bain, l'adulte utilise la force physique et la menace. On considère que souvent les moyens employés sont beaucoup plus psychologiques et subtils.

On la refait donc « en douceur » : l'adulte tente d'utiliser la persuasion : « mais regarde comme tu es toute sale, tu te sentiras mieux après... », le chantage « si tu n'es pas propre tu ne sors pas ce soir. », la fausse négociation: « je te laisse une heure avant d'aller dans le bain ! »...

Une adulte (les enfants commence à se faire rare) demande "Qu'est-ce qu'on fait quand l'enfant nous contraint ?" et mentionne l'exemple suivant :

Une adulte veut s'acheter des chaussures (dans le cadre d'un dépot-vente style emmaüs) mais l'enfant qui l'accompagne fait tout pour l'en dissuader. Cette scène est reprise plusieurs fois avec différent-es acteur-ices, des « passant-es » interviennent. On creuse les raisons que l'enfant aurait de refuser que sa mère choisisse ses chaussures : "Toi, tu m'obéis jamais !" "Elles sont moches, tout est vieux et moche ici !" "J'ai pas envie d'être là !" " Si tu t'achètes ces chaussures, alors je veux que tu m'achète ces 3 paires de chaussures..."

On s'aperçoit que de rejouer la même scène permet d'en explorer toutes les dimensions (psychologique, symbolique, politique...)

On discute ensuite de comment les situations les plus "problématiques" nous aident finalement à creuser nos comportements pour trouver ce qui bloque. Une situation bloquée permet de mieux se comprendre soi-même, de mieux appréhender ses limites et celles de l'autre.

Quelqu'une cite les « conneries » des enfants avec qui elle vit (manger des plantes toxiques, chier dans la cabane, faire un déluge dans la cuisine, pisser dans la bibliothèque, se pousser sur le rebord d'un fenêtre...) qu'elle apprécie plus ou moins comme étant l'expression de leur envie de tout expérimenter. Ce qui est le plus pénible est de devoir « anticiper les limites des autres ». La plupart des « crises » surviennent parce qu'on a anticipé un risque, une limite environnementale ou légale, la patience des voisins, l'opinion d'un parent, le « qu'en dira t-on ? »...

Les projections et les anticipations semblent augmenter à mesure qu'on s'éloigne de son « cadre de vie habituel ». Sans doute est-ce lié au sentiment d'insécurité qu'accompagne un changement de repères.

On se demande si le fait qu'on vive dans une sorte de tyrannie du futur, en n'arrêtant jamais de prévoir, de préjuger, d'anticiper les risques, d'évaluer les possibilités, de se projeter dans l'avenir... si ça ne viendrait pas du fait qu'on ai été « éduqué » c'est à dire qu'on a été considéré-es toute notre enfance comme des êtres « en devenir », jamais comme des êtres là, simplement présent-es, mais toujours comme de futures personnes, des projets vivants.

C'est aussi ce qui nous inscrit si souvent dans le mental et dans la parole. En tant qu'adulte nous sommes plus porté-es à expliquer, théoriser, moraliser qu'à expérimenter en fonction de ce qui nous arrive.

Là où on aborde la zone expérimentale

Pourtant on s'accorde que les moments de « reconnection » ou de lucidité ont lieu souvent hors des bavardages et de l'explicatif. La parole n'est pas qu'un outil de communication c'est aussi une arme pour contrôler ou dominer autrui.

On est souvent confronté au fait qu'un enfant ne veuille pas discuter, que les explications ne servent à rien ou qu'il est nécessaire de passer ailleurs que par les mots.

En disant tout cela, on porte de plus en plus d'intérêt au projet d'installer une zone d'expérimentation sans médiation intellectuelle, sans prédominance de la parole adulte et rationnelle ni d'une réalité sur une autre.

On décide à quelques-unes d'expérimenter immédiatement ce nouvel espace. Des enfants nous y rejoignent pour une dérive ludique improvisée.

Cet espace était curieusement à la fois au centre et peu visible. Nous avions hésité à le délimiter en travers d'un lieu de passage ou de conserver la dimension « déjà là » et périphérique d'un enclos dont nous ignorions la destination d'origine. Cet enclos pris successivement les noms de « l'enclos", "la zone expérimentale", "le coin des fous"...

Elle amena aussi une réflexion à propos d'un équivalent à la théorie queer à inventer et pratiquer dans la déconstruction de ce qui nous "codifie" en temps qu'"adulte" (travail, sérieux, responsable, blabla,...etc)

Plus tard nous aposerons ce panneau à l'entrée :

"Proposition ouverte pour un espace expérimental de présence

Ici On Est !?

  • ..Au présent
  • ..à l'écoute
  • ..dans son corps
  • ..prêt-e à tout

Joue si tu veux jouer, grogne si tu te sens de grogner, balance-toi sur un pied, écoute les oiseaux, serre quelqu'un dans tes bras, envoie-la paître, change d'idée...

Ce qui vient

En tout cas

  • respire."