Déscolariser la société - Extraits

Ivan Illich (1926-2002)

Titre original : "Deschooling society", traduit le plus souvent (et improprement) par : '"Une société sans école"

Ces citations sont extraites de "Une société sans école", trad. Gérard Durand, Éd. du Seuil, coll. Points n° 117


1. Dans le monde entier, l'école nuit à l'éducation parce qu'on la considère comme seule capable de s'en charger. (p. 22)

2. Ce que l'on a appris vous est souvent venu comme par aventure, et ce que l'on a voulu consciemment apprendre n'a que peu de rapport avec un programme d'enseignement.(p. 30)

3. L'école est une institution fondée sur l'axiome que l'éducation est le résultat d'un enseignement. (p. 56)

4. Pourtant, apprendre est de toutes les activités humaines celle qui requiert le moins l'intervention d'autrui et qui ne se prête pas à la manipulation ; nous ne tenons pas notre savoir, à proprement parler, de l'instruction imposée. Ce serait bien plutôt l'effet d'une participation sans contrainte d'un rapport avec un milieu qui ait un sens. La meilleure façon d'apprendre, pour la plupart des êtres humains, c'est cet accord avec les choses et les êtres, tandis que l'école les force à confondre le développement de leur personnalité et de leurs connaissances avec une planification d'ensemble qui permet la manipulation de l'élève. (p. 71)

5. Tous les programmes scolaires visent à vous faire éprouver une véritable fringale devant la table de l'enseignement ;mais si la faim peut vous conduire à absorber régulièrement les nourritures proposées, vous fera-t-elle jamais connaître la joie de goûter quelque chose pour votre satisfaction personnelle ? (p. 77)

6. Tout mouvement de libération de l'homme ne saurait plus passer maintenant que par une déscolarisation. (p. 84)

7. Nous sommes tous prisonniers du système scolaire, si bien qu'une croyance superstitieuse nous aveugle, nous persuade que le savoir n'a de valeur que s'il nous est imposé, puis nous l'imposerons à d'autres - production et reproduction du savoir. (p. 85)

8. Prisonnier de l'idéologie scolaire, l'être humain renonce à la responsabilité de sa propre croissance et, par cette abdication, l'école le conduit à une sorte de suicide intellectuel. (p. 88)

9. [...] l'instruction ne peut être qu'une activité personnelle. (p. 106)

10. Tout homme doit savoir s'il veut la richesse matérielle et posséder encore plus de choses, ou s'il entend être libre de les utiliser. Il y a là deux manières de concevoir et son emploi du temps et ses barèmes de production. (p. 108)

11. Un véritable système éducatif devrait se proposer trois objectifs. À tous ceux qui veulent apprendre, il faut donner accès aux ressources existantes, et ce à n'importe quelle époque de leur existence. Il faut ensuite que ceux qui désirent partager leurs connaissances puissent rencontrer toute autre personne qui souhaite les acquérir. Enfin, il s'agit de permettre aux porteurs d'idées nouvelles, à ceux qui veulent affronter l'opinion publique, de se faire entendre. (p. 128)

12. Dans les écoles, tout se passe comme s'il y avait un secret dans chaque chose ; l'existence n'a de valeur que si l'on déchiffre ces secrets, et pour les connaître on les examinera dans un ordre donné, sous la tutelle d'enseignants qualifiés, seuls capables de conduire à leur révélation. Une fois que l'esprit est scolarisé, la seule vision qu'il ait du monde, c'est une sorte d'entassement pyramidal de marchandises, et pour pouvoir les manipuler, en bénéficier, il doit apprendre progressivement l'inventaire et savoir lire les étiquettes ! (p. 129)

13. Ce n'est pas en faisant confiance aux vues d'un directeur d'école, ou à celles d'un président de conseil d'administration, ou bien à celles d'un éducateur professionnel, que l'on pourra envisager la mise en place des nouvelles institutions éducatives. Et il ne s'agit pas non plus de servir les intérêts de telle ou telle classe. L'erreur, en fait, consiste à se demander : " Que faut-il que quelqu'un apprenne ? " La question serait plutôt : " Celui qui veut apprendre, de quoi doit-il disposer, avec qui doit-il se trouver en rapport ? " (p. 132)

14. Un véritable système éducatif n'impose rien à celui qui instruit, mais lui permet d'avoir accès à ce dont il a besoin. (p. 132)

15. [Les écoles] imposent à leurs élèves de vivre dans un domaine artificiel, où les objets sont retirés du milieu quotidien dans lequel ils ont leur sens véritable. (p. 135)

16. L'enseignant, fier de ses manuels, défend jalousement ce qu'il considère comme son équipement professionnel indispensable, tandis que l'étudiant se prend à haïr même le laboratoire qu'il définit bientôt comme un lieu de travail scolaire. (p. 136)

17. C'est en étiquetant toutes choses, en faisant d'elles des outils éducatifs, que l'école leur fait perdre leur vertu vivante. (p. 137)

18. Utilisés au cours des périodes de loisir, ils [les jeux] fournissent une occasion exceptionnelle de déceler et de développer des talents inhabituels, tandis que le psychologue scolaire se contente souvent de prendre ces possibilités pour la manifestations d'un caractère antisocial, de tendances dangereuses, voire d'un déséquilibre. (p. 138)

19. [...] un exercice par lequel certains esprits se délient devient une camisole de force pour d'autres. (p. 138)

20. Lorsque l'on veut vraiment apprendre, à moins que l'on ne souffre d'un handicap particulier, la seule aide nécessaire est finalement de voir démontrer ce que l'on voudrait acquérir. (p. 149)

21. [...] ceux qui sont capables de faire la démonstration d'un savoir particulier seraient beaucoup plus nombreux si nous faisions confiance à des êtres qui ne soient pas nécessairement des enseignants de métier. (p. 149)

22. Les diplômes représentent un obstacle à la liberté de l'éducation, faisant du droit de partager ses connaissances un privilège réservé aux employés des écoles. (p. 151)

23. Pour un bon joueur d'échecs, le plaisir n'est-il pas de trouver un partenaire de sa force, et pour un novice de rencontrer un autre débutant ? (p. 154)

24. Que celui qui est parvenu à la maîtrise de son art renonce à se poser en modèle unique, en détenteur des sources du savoir, et l'on croira plus volontiers à sa sagesse. (p. 161)

25. Qui dit pédagogie entend connaissance des aptitudes à apprendre, des méthodes à suivre et des sources d'information. (p. 162)

26. Nous devons d'abord bâtir une société, où l'acte personnel retrouve une valeur plus grande que la fabrication des choses et la manipulation des êtres. (p. 167)

27. Si les écoles cessaient d'être obligatoires, quels élèves resterait-il au professeur qui fonde tout son enseignement sur l'autorité qu'il exerce ? (p. 169)

28. L'armée fournit un exemple évident de l'absurdité des institutions modernes. Comment pourrait-elle défendre la liberté, la civilisation, la vie, sinon en les annihilant ? (p. 179)

29. L'homme est maintenant le jouet des savants, des ingénieurs et des planificateurs. (p. 181)

30. L'école est l'agence de publicité qui nous fait croire que nous avons besoin de la société telle qu'elle est. (p. 185)

31. [...] l'enseignement obligatoire semble miner la volonté personnelle d'apprendre. (p. 189)

32. Tous les établissements d'enseignement prétendent "former des hommes" à une tâche d'amélioration du futur, mais ne leur permettent pas de l'accomplir avant qu'ils n'aient acquis une solide tolérance face aux manières de vivre des aînés. (p. 202)

33. Déscolariser la société veut dire, avant tout, refuser le statut professionnel à ce métier [l'enseignement] qui, par ordre d'ancienneté, vient juste après le plus vieux métier du monde. (p. 212)

34. Quand apprenons-nous généralement ? Quand nous faisons ce qui nous intéresse. (p. 212)

35. Pour qu'un humain puisse grandir, ce dont il a besoin c'est du libre accès aux choses, aux lieux, aux méthodes, aux événements, aux documents. Il a besoin de voir, de toucher, de manipuler, je dirais volontiers de saisir tout ce qui l'entoure dans un milieu qui ne soit pas dépourvu de sens. (p. 213)

36. Toutes les professions détiennent le pouvoir de chasser les personnes non autorisées de leur domaine et il en va de même des institutions et des nations. (p. 214)

37. Il faut un temps relativement court à l'homme motivé pour acquérir une compétence qu'il veut utiliser ; ce que nous avons tendance à oublier dans une société où les enseignants monopolisent la possibilité d'accession à n'importe quelle activité et détiennent le pouvoir d'accuser de charlatanisme tous ceux qui ne se soumettent pas. (p215)