Tentative de théatre-forum
..lors des rencontres AMP en Aveyron en août 2006
Le théatre-forum : des gens qui veulent problématiser une oppression de leur vie quotidienne, pour mieux lutter contre, la mettent en scène et la jouent devant d'autres gens concernée par la même oppression. La ou les scènes sont jouées une fois en entier, puis une deuxième fois où les spect'acteurs pourront arrêter la scène dés qu'ils ont l'idée de proposer autre chose. Ils iront alors remplacer un acteur, ou en créer un autre, et la scène reprendra avec ses propositions, pour voir ce que ça donne. Le jocker est la personne qui fait le lien entre la scène et les spect'acteurs. Voir aussi: International Theatre of the Oppressed Organisation
Trois ou quatre personnes ont des connaissances très limitées du théâtre-forum, une personne l'a pratiqué pendant deux ans dans une troupe mais ne désire pas guider le groupe ( bien qu'elle fera à quelques reprises des remarques bienvenues). Nous naviguerons donc à vue.
Une première rencontre nous amène à nous dire qu'on ne veut pas mettre en scène une oppression des enfants, mais une oppression que l'on ressent en tant qu'adultes dans des situations dans lesquelles il y a un enfant. On ne sait pas très bien finalement si on peut se définir alors comme opprimés, mais on décide d'abandonner le sens exact des mots pour se concentrer sur des situations (mal)vécues. Des personnes racontent des expériences de ce genre : dans les magasins, le fait de devoir dire non aux multiples désirs des enfants qui sont très sollicités par les marchandises ; dans la rue, les parcs, ne pas savoir intervenir quand un adulte se comporte mal avec un enfant ; le harcèlement des contrôles sociaux dans un situation de non-scolarisation...Nous en restons là pour cette fois.
Lors de la deuxième rencontre, nous choisissons une des histoires pour travailler dessus : celle d'une petite fille de 6ans et demi non-scolarisée qui a été contrôlé abusivement, suite à quoi on veut obliger sa mère à la scolariser, alors que l'enfant ne veut pas aller à l'école et que leur vie est organisée avec cette perspective de non-scolarisation. A quelques jours de la rentrée, la situation n'est toujours pas éclaircie, la mère songe à attaquer l'éducation nationale, mais ça n'est pas facile, elle se sent seule dans cette histoire, et y'a mamie qui en rajoute une couche en la dénonçant aux sevices sociaux...Il y a une volonté de se sortir de cette situation, et un manque d'idées, de moyens, d'allié-es.
On décide d'improviser une scène, en se distribuant les rôles : une mère, sa fille non-scolarisée, une fausse alliée qui va soutenir le choix de la mère mais d'un point de vue complètement différent, une serveuse puisque la scène se passe dans un bar, un pilier de comptoir, une personne qui va défendre l'école et un syndicaliste radical de l'éducation nationale. Les autres personnes n'ont pas de rôles distribués mais on décide qu'illes sont dans le bar, donc à la fois spectateurs et potentiellement acteurs si et quand illes le veulent. On veut prendre garde de rester fidèle à la problématique tout en se distanciant un peu de l'histoire vraie pour en faire une histoire collective. Avant le début de la scène, chaque personnage est invité à raconter un peu son histoire, ses liens avec les personnes présentes, définir un peu son caractère... La scène marche bien, dans un totale improvisation. Deux personnes qui n'avaient pas de rôle au début interviendront. La mère non-scolarisante est jouée par un prof, la pro-école par une mère non-sco, le syndicaliste radical par un radical contre l'éducation, la serveuse par la vraie mère en difficulté...ce qui donne du piquant à nos interventions, un décalage plutôt savoureux. La petite fille est jouée par la vraie petite fille non scolarisée. Comme c'est une improvisation, la scène se traîne évidemment, et les propos ne sont toujours pas très nuancés: c'est parfois une vraie publicité pour la non-scolarisation...alors que les personnes présentes ne sont pas toutes dans cette optique. La scène se termine quand l'inspiration s'épuise.
Une troisième rencontre est programmée pour deux jours plus tard, mais n'a pas lieu, et ce sera fini pour le théâtre-forum. Notre idée était de faire trois scènes : une première d'exposition dans le bar, puis une scène avec l'inspection de la petite fille, puis...on ne savait pas encore.
Finalement, avec cette première scène nous avons inventé une forme intéressante, le bar-forum (!), avec un mode d'intervention inédit par rapport à l'intervention classique dans le théâtre-forum qui passe par la médiation d'un joker. Je ne connais pas bien les autres formes du Théâtre de l'Opprimé auquel appartient le théâtre-forum, mais il est possible que ce qu'on a fait se rapproche du théâtre invisible, où il s'agit d'amener un problème au coeur d'un lieu fréquenté par des gens et voir ce que ça donne (par exemple, dans le métro quatre acteurs invisibles : un gars met la main aux fesses d'une fille qui réagit, un autre gars rit grassement et un autre prend la défense de la fille ). Sauf que nous, nous savions tous que c'était du théâtre.
Pendant tout ce processus, la place des enfants a été questionnée : irons-nous demander aux enfants de nous raconter des choses de leur vie quotidienne qu'illes vivent mal pour les mettre en scène, oui mais ce n'est pas très orthodoxe de demander en tant qu'oppresseurs à des opprimés de s'allier pour les sauver, oui mais n'est-on pas en train de s'enfermer dans une grille d'analyse qui nous empêche d'être simples...Allons-nous proposer aux enfants de participer quoi qu'il en soit ? oui mais si ça les intéresse ils viendront d'eux-mêmes, oui mais encore faut-il qu'illes soient au courant et qu'ils osent , oui mais n'est-on pas en train de s'enfermer dans une grille d'analyse qui nous empêche d'être simples....Les enfants présents ne doivent pas forcément jouer des rôles d'enfants puisqu'on est au théâtre, non ? oui mais c'est à eux de décider, oui mais c'est à nous d'expliquer, oui mais n'est-on pas en train de...?! Finalement, les enfants n'étaient pas présents (n'ont pas été conviés) au premier atelier, et l'ont été au deuxième, où ils étaient deux.
La vraie mère en vraies difficultés actuelles en face de vrais oppresseurs trouvera des vrais allié-es dans la semaine, hors du contexte du théâtre-forum, qui a peut-être permis une amorce de ces échanges futurs.