Dans le recueil d'articles Le Prisme de la prostitution, Gail Pheterson analyse les discours et lois concernant la prostitution (lois sur le racolage, sur le proxénétisme...) comme visant à restreindre la liberté des femmes : un discours d'infamie stigmatise les prostituées et rend leur vie difficile voire dangereuse, et s'applique tendanciellement à toute femme qui s'écarte du mariage et de la domination masculine pour tenter de vivre de façon autonome ; les lois censées protéger les prostituées, quant à elles dans la réalité restreignent leurs possibilités de déplacement, de vie familiale, de protection légale, etc. Gail Pheterson réclame donc logiquement l'abolition des lois discriminatrices envers la prostitution et les prostituées. Dans cet ouvrage, elle aborde aussi, dans un chapitre assez court mais dense, la question des enfants des rues et des enfants prostitués ; voici ce qu'elle affirme à leur propos, dans l'introduction de son livre :

« De tous les thèmes relatifs à la prostitution, les enfants sont le sujet le plus sensible et le plus dramatisé. J'ai rarement fait une conférence sur la prostitution sans qu'on me demande : " Et les enfants ? " Cette question fait souvent suite à ma critique des législations protectionnistes, où je démontre que les lois qui réglementent ou interdisent la prostitution au nom de la protection des femmes finissent par être utilisées pour justifier officiellement le harcèlement, l'arrestation, l'emprisonnement, le viol et le meurtre de prostituées. On me demande alors : " Mais ne devrions-nous pas, au moins, avoir des lois pour interdire la prostitution des enfants ? " Ma réponse est NON. En fait, il nous faut appliquer les lois existantes contre le viol, la violence, la coercition et le travail forcé, dans tous les cas et pour tout le monde. Ces cas doivent inclure l'industrie du sexe et doivent inclure la famille légale (connue pour être le lieu le plus courant des sévices sur les enfants). Parmi les personnes protégées, tout le monde doit être inclus sans considération de statut d'âge, de couleur, de genre, d'ethnie ou de sexualité. Mais non, nous n'avons pas besoin, et il n'est pas démocratique, de mettre en vigueur des lois contre le voyage, la sexualité ou la transaction économique - et les lois anti-prostitution ne sont rien d'autre que cela. Une telle perspective est contraire à la plupart des stratégies réformistes de protection de l'enfance, que l'on trouve notamment dans une série de Conventions des Nations Unies. Étant donné l'influence et la bonne foi de ces Conventions, j'expose en détail les raisons de mon opposition et je démontre comment le prisme de la prostitution sert à rationaliser le harcèlement de l'État envers des millions de jeunes qui doivent déjà se battre, et aussi à masquer le fait qu'aucune réponse suffisante n'est apportée à leurs besoins matériels en programmes alimentaires, soins de santé, logement et instruction. »

Ce point de vue est rarement défendu, et il est argumenté par Gail Pheterson de façon qui nous a semblé convaincante ; c'est pourquoi nous avons voulu mettre son texte à disposition du public.

Nous la remercions ici, ainsi que Hélène Rouch, qui dirige la collection Bibliothèque du féminisme, et Nicole-Claude Mathieu, qui a traduit le texte de l'anglais, pour avoir donné leur accord et offert leur aide.

Gail Pheterson, Le Prisme de la prostitution, L'Harmattan, coll. Bibliothèque du féminisme, 2001, trad. Nicole-Claude Mathieu, 26 euros