Le statut de mineur-e, forme dialoguée

Compte-rendu d'une discussion en juillet 2010 à Brocéliande


Synthèse

La discussion a démarré sur le "constat" que le statut de mineur fait vivre tous les citoyens de nos démocraties au sein d'une sorte de régime totalitaire pendant les 18 premières années de leur vie, ce qui a des conséquences terribles pour beaucoup, douloureuses pour presque tous.

Pour répondre aux objections que ce constat a soulevé, on a retraversé un certain nombre de points abordés les jours précédents : prise de conscience des processus à l'oeuvre, légitimité et moyens d'une lutte politique, etc.

Puis on a parlé de quelques groupes qui ont lutté sur ce terrain, et on a débattu de ce qu'on pourrait mettre en oeuvre.

Propositions

  • création d'un groupe politique d'abolition du statut de mineur-e-s / d'obtention de la majorité à la demande
  • création d'un site internet d'information sur la question de la domination adulte type enfance-buissonniere.poivron mais construit davantage à l'attention des mineur-e-s
  • création d'une page facebook 'abolition du statut de mineur'
  • création d'un réseau légal d'accueil de mineur-e-s avec le consentement des parents au sein de familles, de lieux collectifs, ou en voyage, et visibilisation de ce réseau (site internet, etc.) : « mineur-e-s en mouvement »
  • trouver un avocat
  • faire des vidéos et les diffuser par exemple sur U-tube
  • faire un état des lieux des lois et des luttes concernant le statut de mineur / la domination adulte etc. dans les pays européens
  • mieux référencer le site 'enfance-buissonnière.poivron' sur google

Déroulé

(la discussion-là débute après un long tour de parole sur les rapports intimes au genre dans les souvenirs d'enfance et de vie de chacun – tour de parole très riche pour lequel on n'a pas pris de note – en revanche on s'est dit plus tard qu'on en referait un du même genre sur nos rapports intimes à la question de l'âge)

Introduction préparé par Yves :

Le statut de mineur est une donnée fondamentale qui conditionne la vie des moins de 18 ans, et qui est à l'origine d'une bonne part du fossé adulte/enfants. Christine Delphy s'éberlue dans un de ses textes d'avoir assisté à un congrès de sociologie sur les jeunes personnes sans qu'à aucun moment ne soit abordée la question de leur statut : on ne part pas de la situation sociale réelle, mais d'une « nature » d'enfant et d'adulte...

Lecture de l'introduction de "Ni vieux ni maître" de Claude Guillon

Le passage énumérant toutes les conditions et obligations : « scolarité obligatoire, etc... » décrit assez bien le statut de mineur et met en évidence l'existence d'un régime totalitaire spécifique aux mineurs : quel sens peut avoir une démocratie où les individus passent les 18 premières années de leur vie dans un régime totalitaire « - oui mais les enfants sont infantiles, immatures ! » : de fait, ils n'ont jamais cinq minutes pour décider de leur vie. (qui plus est les adultes aussi sont souvent immatures)

L. témoigne des petites débrouilles de ses ami-e-s pour grapiller des bribes de liberté en cours ou pour échapper ponctuellement aux parents, et de leur réaction quand elle essaye de leur parler de leur statut : « c'est normal, c'est bien pour nous, c'est pour nous protéger ! ». Le jugement basique des opprimés – après les esclaves et les femmes : plaire au maître plutôt que de critiquer le maître

N. :Ça peut-être aussi une stratégie pour grapiller davantage justement / ou bien un rapport inconscient

L. : Ils intériorisent la domination. Ça donne envie de leur taper dessus.

Débat  : le totalitarisme en question est-il transmis surtout par la famille ou tout autant par les (autres) institutions ?

Y. : il semble que l'école et la famille constituent les 2 principaux pôles d'enfermement et de contrainte soutenus par un système social cohérent.

De nouveau est soulevée la question du mode d'action politique, agencements au sein du système en place versus tentative de changement du système. N. fait le parallèle avec la liberté de circulation des femmes avant les luttes féministes, et remercie les femmes d'avoir choisi un mode d'action politique qui a permis l'évolution du droit.

Y. : L'essentiel une fois de plus, c'est que la lutte naisse, pas (seulement) pour ses objectifs, mais pour ce qui se passe pendant la lutte (et ça n'exclue pas les agencements quotidiens bien sûr) ; lutte en l'occurrence contre le système de coercition agiste

L. : et pour l'abolition du statut de mineur !

N. : C'est pas utopique, il faut se souvenir qu'il y a cinquante ans les femmes aussi étaient mineures ! (ça faisait donc dans les ¾ de la population avec les enfants, les sous-tutelles, d'une certaine façon les pauvres...)

De chaque côté de la barrière, on est pris dans le système : on ne choisit pas plus adulte d'être dominant qu'enfant...

L. : Mais qu'est-ce qu'on fait du coup par rapport aux mineurs qui s'en foutent ?

B. : Et comment les enfants s'empareraient-ils d'un pouvoir auquel ils ne sont pas préparés ?

Y. : C'était l'argument de ceux qui étaient partisans de repousser l'abolition de l'esclavage, le temps de former les esclaves ! Mais encore une fois, la lutte en elle-même transforme ceux qui luttent et tous ceux qui en entendent parler.

B : Mais les mineurs sont seulement un chainon d'un système d'oppression global

N. : comme les femmes ! Les femmes ne se sont pas emparé de leur liberté légale ! Pour autant, la loi est un élément plus ou moins déterminant d'un système global.

L.: la loi nous prive de tout pouvoir de décision

B.: C'est un peu pour votre bien aussi

Y. : Tout système de contrainte est toujours légitimé par de bonnes raisons : la colonisation était légitimée par la civilisation, de même que la domination adulte, par le bien de l'enfant.

b. : mais sur quels critères peut-on donner la majorité ?

L. : selon la volonté de l'individu

b. : faut-il pas être opprimé pour se libérer ensuite de l'oppression ? La frustration n'est-elle pas intéressante ?

F. : des frustrations il y en a de toutes façons

G. : on peut toujours surmonter ses propres limites

b. : vivre en société c'est aussi rentrer en conflit avec des gens

N. : la force de libération peut être joyeuse, mais la joie ne disparaîtra pas si je n'ai plus à me libérer de ce qui m'oppresse, elle sera là directement dans autre chose, dans la création, que sais-je ?

A. : l'argument un peu paradoxal de b vient du fait que l'oppression agiste, tout le monde s'en trouve libéré avec l'âge...

Y. : sauf ceux qui y passent : avant d'en être libérée, elle fait quand même pas mal de victimes... ce genre d'argument paradoxal peut justifier n'importe quelle oppression, et en fait, il est carrément révoltant - peut-être excusable parce que concernant les mineurs, ce sont des processus très très ancrés...

F. : pourquoi ne pas inventer des prisons libres, où chacun pourrait aller essayer l'enfermement pour le plaisir de s'en libérer quand on voudrait ?

b. : quand même on n'est pas un homme d'emblée, on le devient à travers l'épreuve...

A. : 'on ne naît pas adulte, on le devient'

Y. : on ne sort pas indemne de 18 ans d'infantilisation : ça casse la confiance qu'on peut développer en soi - bien sûr il y a des lignes de fuite - mais on sort quand même laminé-e, affaibli-e... formellement, on vit dans une société où on a une liberté incroyable, mais on ne l'exerce pas.

L. : ce statut-là nous coupe la vie en deux : jusqu'à 20 ans on apprend, après on travaille. C'est pas seulement oppressif, c'est absurde. Le bonheur, ça dépend de beaucoup de choses... mais la liberté, ça dépend peut-être de nous.

G. : c'était quoi la réaction des autres quand tu as arrêté l'école ?

L. : beaucoup pensent que c'est une erreur. Je défends le truc... mais c'est démoralisant de voir que beaucoup prennent la fuite face au réel : les fêtes, les pétards...

G. : Moi je ne savais pas... avant ma majorité, je n'avais pas conscience des possibilités d'alternatives...

F. : Il y a la barrière de la majorité, mais pas que... moi, à 20 ans, je ne suis toujours pas considérée, prise au sérieux quand je parle etc...

J. : Pour moi la bascule ça a été l'indépendance financière

L.: maintenant même si ça ne sert à rien, j'ai quand même envie de continuer à étudier... mes parents me disent tous les matins 'si tu veux tu n'y vas pas' – et moi je continue pour me prouver que je peux aller plus loin

Y. : Ce qui nous contraint, ce n'est pas seulement la soumissions aux maîtres que la soumission à la norme, l'ordre social des pairs, de la classe : la conformité au modèle des camarades – à tous les âges – parce qu'on n'a pas la possibilité d'expérimenter autre chose : alors on a peur de la vie, de l'avenir, on manque de confiance en ses possibilités de faire quelque chose... on a peur d'échapper à la norme La peur, c'est le ciment de l'ordre social. La Première guerre mondiale, c'était la première guerre de l'histoire où il y a eu très peu de désertion... c'était 30 ans après l'institution de l'école obligatoire...

N. (à L.) : C'est pas parce que j'ai la possibilité de m'extraire du système que je ne peux pas y faire mon chemin selon ma volonté. Par exemple moi qui ne travaille pas, si j'avais la possibilité de faire un travail chouette et auquel je crois, le refuser, ce serait obéir à d'autres normes. Le but c'est plutôt de prendre mieux conscience des oppressions et de cheminer avec ça. Mais ça n'est pas parce que j'ai conscience des questions de genre, pour prendre un autre exemple, que je ne 'performe' pas le genre féminin – seulement je comprends mieux les tenants et les aboutissants de ce que je fais.

N.: Donc le problème c'est une norme sociale majoritaire et en face des individus avec des prises de conscience : comment faire ? Comment parler aux autres, les emmener ? Quelles organisations inventer ? Par exemple des maisons occupées : plus il y en aura, plus ça donnera envie aux autres d'y participer. Ces moyens-là, des occupations de squats, des productions de CD avec distribution gratuite, etc... c'est plus puissant que l'action sur le droit : des organisations collectives qu'on puisse rejoindre.

N. : dans les 70's, il y a eu un mouvement, mineurs en lutte. 2 nanas d'un camp d'ados autogéré, après une fugue, avec certains des monos, ont squatté la fac de Vincennes et ont monté un groupe où ils ont produit des journaux ('le Péril Jeune')... c'était une organisation de mineur-e-s avec des revendications claires sur leur statut.

Y. : elles ont été soutenues par une partie de la gauche et certains philosophes, il y a eu des articles dans libé, meeting au zénith etc...

N. : ça a capoté quand Vincennes a fermé – ils avaient le soutien de trop peu de profs – et puis il y a eu une histoire de détournement de mineure – les journaux à sensation ont publié des trucs sur des orgies sexuelles

Y. : le mouvement ne s'est pas suffisamment étendu, il y a eu quelques comités dans certaines villes, mais pas autant que le féminisme

N. : C'était la fin des 70's, la fin d'une période d'agitation... il y a eu aussi la question de la pédophilie..

- et puis elles étaient plus mineures : c'est le problème aussi par rapport à cette question.

Autres exemples d'organisations : un groupe en Belgique à Löwe, partis d'une grève scolaire ont diffusé l'info sur l'école non-obligatoire avec une critique politique anarchisante (Swe), le groupe Krätze en Allemagne, un groupe au Nicaragua (N.), les lascars du LEP électronique, avec les pions et les élèves (Y.), les maisons d'enfants soutenues de l'extérieur ( Nc.)

B. : aujourd'hui le cadre légal s'est vachement durci sur tout ce qui concerne les mineurs... il y a même une loi qui interdit d'aider les mineurs en fugue

Y. : il y a un gros problème lié à la clandestinité obligatoire... les jeunes en rupture de ban, ça représente 100 000 personnes en france !

Nc. : comme moyens de luttes il y aurait l'informatique, la vidéo sur U-tube, les liens internet... mettre en place des ateliers audio-visuels, simples à mettre en place selon le modèle de... ?

Idée de chercher un-e avocate (en attendant que Lei ait ses diplômes) qui travaillerait sur le droit des enfants, pour se protéger en cas d'accusation de pédophilie, ou pour bidouiller des arrangements dans des situations limites :

N. : ça semble dingue qu'un mineur en fugue d'une famille où il est maltraité, accueilli chez des gens où il est bien, soit hors-la-loi... il y aurait un levier médiatique intéressant, parce que ça pourrait paraître choquant à pas mal de monde, comme situation.

L. : Il faudrait que les fugueurs puissent choisir leur lieu, parce que les foyers institutionnels...

Y. : dans ce lieu en Allemagne [où il a vécu], il y avait sans cesse du monde, parce que c'était le seul lieu non-institutionnel... on cachait les enfants... les 10 premières années, il y avait une perquisition par semaine, et ils n'ont pas trouvé la cache... quand ils l'ont trouvée, qqun a fait un an de taule... les jeunes se cachaient là, ou bien ils étaient exfiltrés dans un réseau de famille (comme pour les esclaves en fuite, ou les sans-papiers), ou on leur passait du fric pour voyager... on avait essayé de s'implanter au portugal, parce qu'ils avaient une législation plus facile...

L. : c'est dingue qu'il y ait des forums pour parler du suicide, et pas pour parler de la fugue ! Pareil au niveau légal : c'est quand même puni d'aider un suicidaire, mais c'est bien plus facile d'incriminer quelqu'un qui aide un fugueur !

Dérive sur le suicide utilisé à des fins politiques, tant qu'à faire

N. : Il faudrait faire l'état des lieux des lois et des luttes concernant les mineurs en Europe. (…) et même sans attendre de pouvoir s'occuper des fugueurs, on pourrait commencer par monter un réseau de famille et de lieux collectifs en ville ou en campagne, qui accepteraient d'accueillir des mineurs avec le consentement des parents... c'est légal et c'est déjà mieux que rien.

Suit une discussion sur ce projet, les questions d'assurance etc... Rendez-vous pris pour continuer à en parler.