Marginalité, solitude et incohérences

Propos inspirés par le témoignage d'Ad


heu... le propos qui suit risque d'être un peu fouillis (puisqu'il s'agit d'un mélange de ressentis, de questionnements et d'invocations que ton texte a soulevé en moi), j'ai essayé de ranger un peu , j'ai pas réussi, alors j'ai mis les exemples au début, les généralités ensuite puis enfin les remarques et les questions c'est à dire que j'espère que tu pourras y mettre bon ordre et qu'on puisse bientôt en parler face à face dans « la vraie vie ».

Tout d'abord merci pour ce témoignage, merci pour la sincérité avec laquelle tu abordes ton enfance et tu nous en fait part.

A propos de marginalité

J'ai l'impression que tu tranches assez facilement entre la norme et la marge . Entre les parents et le monde. Alors que je vois partout les deux si mêlés qu'on ne sait plus qui est redevable de quoi à qui... Alors que je ne pourrais pas ranger tes choix de vie, ni les miens dans aucune catégorie précise... J'ai souvent envie de tout remettre en question ce qui me semble être très NORMAL.

Cette fracture me semble suffisamment cruciale pour essayer d'être le plus précis possible.

Tu termines en disant : « Que les adultes aient l’humilité de considérer que la meilleure chose qu’ils puissent faire pour leurs enfants est de les mettre au contact du monde et d’avoir la force et l’honnêteté de ne pas faire peser sur eux le poids de leurs volontés tâtonnantes pour que le jour venu, ils puissent à leur tour tenter de penser ce monde comme bon leur semble. »

et j'adore cette phrase... mais je voudrais la mettre en perspective , comme tout ton témoignage avec plusieurs autres éléments ici, un peu vrac (je commence par 3 exemples , puis je fait de la métaphysique à partir de ma propre expérience... désolé...)

L'exemple de E...

J... vit dans des collectifs et des squatts depuis plus de 15 ans, actuellement elle vit dans un lieu qui a développé incroyablement et magnifiquement l'auto-construction et l'autonomie alimentaire en faisant revivre une vallée désertée . sa fille E... 13 ans reproche à sa mère sa « marginalité » et son lieu de vie, elle en a marre « des chiottes seches », « d'avoir a faire un feu pour prendre une douche », de « bouffer des légumes du jardin », qu'« il n'y ai pas la télé »...etc et préfère rester chez son pere où elle peut faire ce qu'elle veut, manger des chips et boire du coca en regardant la télé, comme tout le monde...

En discutant avec J... elle est très peinée de ne plus pouvoir partager de temps avec sa fille, elle affirme que « c'est comme ça depuis qu'elle a 5 ans » et qu'elle se refuse autant à lui imposer quoi que ce soit que de lui offrir la télé, les chips et le coca que sa fille réclame, vu que « ça ne change rien !»

Un autre exemple :

J'ai lu sur internet le témoignage d'une mère non scolarisante qui explique pourquoi il n'y a pas la télé chez elle, en gros, pour elle,: Quand un enfant est devant la télé, il est fasciné par ce qu'il y voit et il est exposé à une dose hallucinante de messages masqués et impératifs , reflets d'une idéologie totalitaire qui vise entre autres l'extinction des point de vues minoritaires et/ou contraires aux logiques du marché et il (l'enfant) n'a pas forcément les moyens d'y faire face... Bref c'est du lavage de cerveau pur et simple et personne n'est libre devant la télé ! Notre propre sens critique s'émousse à force de contempler le petit écran, alors comment un enfant parviendrait-il à forger le sien avec une telle dose d'uniformisme et d'« aplanissement »? Plus tard elle dira que pour l'école c'était un peu pareil, dans le sens où elle ne pouvait se résoudre à passer le peu de temps qu'il lui restait avec ses gamins à relativiser les injonctions et les messages idéologiques que l'école leur inculquait.

Donc cette maman défend qu'elle a choisit de priver ses enfants de la télé et de l'école afin qu'ils soient plus libres de choisir la vie qu'ils avaient envie de vivre !

L'exemple des kibboutz

  • - Bruno Bettelheim dans « Les enfants du rêves » (que je suis en train de lire et c'est passionnant)

évoque à plusieurs reprises le fait que dans le Kibboutz il n'y a pas d'opposition entre les parents et le monde. Tout est fluide et continue, puisque les relations, l'éducation et la place que tu trouves dans la communauté sont cohérents. Ce qui n'est pas le cas dans notre monde ou parents, éducateur-ices et société sont en conflits... Bon il pose plein d'autres questions passionnantes que je développerai plus tard et je vous envoi des extraits dés que j'ai fini de les taper parce que c'est une super base de reflex ion !

tiens voilà un bout pour donner envie:

"La coopération profonde qu'on observe dans le kibboutz (en dépit des divergences de personnes) entre les parents, la collectivité et l'éducateur, n'est possible que là où la société est basée sur le consensus de tous. cela suppose une acceptation profonde, de la part de l'individu, du droit qu'il reconnaît à la société de modeler sa propre vie et celle de ses enfants. Au kibboutz, le rôle parental de la collectivité est accepté par l'enfant comme par l'adulte. On peut se demander si, et jusqu'à quel point , un tel consensus peut exister dans une société très large où coexistent des modes de vie divers. (...)"

Faire comme tout le monde ?

Il semblerait en effet que nous ayons conscience très tôt d'avoir le choix entre le petit monde « fermé » de nos parents, de leurs ami-es, de notre « famille » , de son milieu etc... Et « le vaste monde » où tout se joue réellement...

Il semblerait également qu'on ai très tôt l'intuition que si on veut avoir le plus de libertés, c'est à dire le plus de choix ouverts possibles, il faille appartenir au « vaste monde » et non à une enclave, un ghetto qui nous limiterait forcément...

Voilà sans doute, ce qui nous poussent tous et toutes a un moment donné à vouloir faire « comme tout le monde! » C'est à dire concrètement aller à l'école, regarder la télé,travailler, consommer, réussir...

Chacun arrange son programme à sa sauce, selon sa sensibilité et ses limites : des fois « aller à l'école » se traduit par « apprendre au mieux »; regarder la télé signifie parfois « s'informer sur l'état du monde »; travailler peut vouloir dire « donner de son temps »; consommer vaut pour « se nourrir » ; et réussir à de nombreux sens quand il s'agit de « réussir sa vie » ...

Donc selon que le projet de nos parents colle où non avec les mouvements du vaste monde, on serait plus ou moins en phase avec elles-eux ou plus ou moins libres d'y adhérer ou de s'en défaire... ? Je crois, moi, que les parents font partie du monde et que « ça ne change rien! »

Choisir son monde :

J'ai été « marginalisé » très tôt du fait que j'étais fils unique et que ma mère était d'origine étrangère . J'ai d'abord longtemps joué et partagé mes ressentis avec un chat plutôt qu'avec aucun autre con génère de mon espèce. A l'école, je ne portais jamais d'habits qui m'eut permis de devenir « invisible » ou de ressembler à qui que se soit. Toute ma scolarité j'ai été un « clown », un « clochard » ou un « extra-terrestre » Pour autant j'ai savouré toute mon enfance cette marginalité C'est même, en quelque sorte, à travers elle que je me suis « socialisé » à l'adolescence et je suis prêt à l'assumer encore pleinement aujourd'hui où je puis très bien me revendiquer « Clochard-clown-extra-terrestre »... et surtout elle ne m'as pas « pesé » , du moins pas plus que maintenant où mon humour me donne parfois des ailes... Le lycée Autogéré puis tous les collectifs et les rencontres que j'ai fait depuis , partout dans le monde (sans compter mon bref séjour à l'H.P) n'ont cessé de renforcer ma conviction que « la plupart des gens » était une abstraction statistique néfaste à toute vie organique et que «la normalité » n'existaient pas .(lire a ce propos le Petit Manuel d'Insurrection Arithmétique a l'usage des petits nombres...)

Et j'appelle « marginalité » , une DIFFÉRENCE REVENDICATRICE ! Et rien à foutre de la norme! On est tous PAREIL ET DIFFÉRENTS ! Pourvu qu'on ne s'oblige à rien ! je porte plus souvent vers l'autre mon désir de partager des univers multiples et complexes où tous-tes pourrait se réaliser comme profondément AUTRES, où tous les rêves pourraient co-exister aussi DIFFÉRENTS soient-ils! Ce désir m'est plus ancré et plus nourricier que celui d' « un monde en paix », qui n'est qu'une option parmi d'autres (après tout pourquoi pas un monde en guerre , où l'on puisse librement choisir son camp et sa souffrance ... Ce serait moins pire qu'un monde pacifié par l'uniformité des idées et des sentiments).

En fait avant de vouloir un monde idéal , je veux que tous les mondes soient possibles ! et c'est sans doute ce qui fait que nous nous sommes rencontré-es et que nous arrivons a échanger des points de vues ... (youhou!)

Mais de quel monde on parle ?

Pour moi: Il y a le monde réel qui est exactement comme un éléphant dans le noir : on pourra spéculer éternellement sur sa forme globale à partir du petit bout que notre vie nous aura permis de toucher... (heu... cette image vient d'un conte soufi que je te racontes si tu le connais pas...)

Le monde dit de la réalité dominante qui est une idéologie totalitaire qui recouvre (et qui détruit) les autres mondes ...

Les autres mondes recouvrent ici toutes les autres expériences du monde réel qui ne soient pas autoritaires.

Les monde sensibles qui sont la plupart du temps des chaos enchevêtrés qu'il est tout aussi délicat de déméler que de vouloir définir. Incluant le monde des rêves, le monde de l'imaginaire, le monde des esprits, les infras-mondes...

Mais de quel monde on part ?

Je crois que nous surfons entre ces mondes la plupart du temps à l'aveuglette et que leurs frontières ne sont pas si nettes! Le monde le plus visible et le plus fatiguant est certainement celui de la réalité dominante.

Ce que je trouves le plus fatiguant dans le résultat des dernières élections, c'est leur coté prévisible, c'est le fait que « l'accomplissement naturel de l'état soit l'état nazi. », qu'il soit logique que le « pouvoir » cherche à être « total » et donc « totalitaire », que toutes les personnes, tous les groupes, toutes les pensées qui pour moi ont le plus joliment incarnées la liberté humaine, se sont perpétuellement faites massacrées tout au long de l'histoire et qu'il semble « rationnel » que ça continue... C'est ce coté « c'est comme ça et pas autrement... » qui me fatigue dans toutes les représentations de la réalité dominante et qui m'incite à la combattre par tous les « malgré tout! ». « Je me bat contre tout ce qui est obligatoire pour qu'on puisse toujours vivre d'autres mondes. »

Car l'appauvrissement de l'imaginaire est ce qui nous arrive de pire , puisque non seulement il ronge les libertés intérieures mais surtout il réduit les libertés futures. Et pour pas que ce combat soit « encore et toujours» un combat, je le nomme « poésie » ou « n'importe quoi » et j'en fais ce que je veux ! Et pour que l'on puisse voyager ensemble dans ces autres mondes, il nous faut réellement PARTIR de la réalité dominante, dans tous les sens du terme c'est à dire la reconnaître pour la dépasser.

La mieux connaître pour pas se faire rattraper par elle (lire à ce propos la brochure intitulée Rupture)

Contre l'amalgame entre « le monde réel » et « la réalité dominante »

Ce qui contribue, entre autres à cet amalgame c'est le fait que les lignes de fractures s'estompent et que les positions individuelles deviennent de plus en plus floues et complexes...(lire à ce propos la brochure intitulée Rupture) Ce qui répond souvent à un besoin d'invisibilisation légitime (ou « camouflage de survie ») devient souvent une « zombification généralisée » [Et ne me dites-pas que j'exagère c'est vraiment l'impression qu'on a quand les ¾ des discussions retombent sur l'argument: « ... oui, mais la plupart des gens... ou... mais dans la réalité...] Je suis d'accord avec le fait que tout n'est qu'illusion et que tout les choix de vie se valent dans une certaine relativité cosmique énervante... d'accord... MAIS... une fois qu'on a dit ça, on fait quand même des choix et le fait de ne pas en faire dans un monde où y en a qui crève de faim c'est quand même en faire un !

Faire des choix dans le monde réel ?

Quand on tatonne l'éléphant pour essayer de deviner à quoi il ressemble, on ne peut s'empêcher de faire des hypothèses, ou de se mettre à croire... c'est le délicat domaine de la foi (domaine aussi douteux que celui de la raison !) Je présuppose que l'incarnation terrestre (nom pompeux pour dire « l'expérience d'une vie » ) désigne et forge une intention. Voilà, en gros: je crois qu'on est pas là sans raison, et qu'une des raison qu'on a d'être là c'est justement de comprendre, de réaliser et d'accomplir ce pourquoi on est là !(je sais que ,dit comme ça, ça fait un peu mise en abîme mystico-facile, mais je vois pas encore comment le dire autrement... ) J'arrive à ce tour de force de la foi du libre déterminisme , inaccessible aux matérialistes: -Nous sommes a la fois ENTIÈREMENT CONDITIONNE-ES par notre origine, notre milieu, notre éducation...etc et à la fois ENTIÈREMENT LIBRE d'en faire ce qu'on veut ! (c'est dingue non ?)

[je précise tout ça, au risque de me faire cataloguer pour quand même dire d'où je part dans mes choix]

Faire des choix dans la réalité dominante ?

C'est pour ça que je veux donner des indices de mon intention , entre autre par mes choix de vies:

Par exemple je refuse autant qu'il m'apparaît possible de contribuer à la destruction de cette planète et de participer au génocide de ses habitants, malgré que je fasse partie d'une culture dont c'est la pratique quotidienne (étrange phénomène...). Ce qui pour moi implique des choix tel que (entre autres) :

boycotter et critiquer toutes les institutions qui perpétue le massacre (l'école, la famille, le travail, l'argent... ) \ éviter autant que possible de consommer tout ce qui provient d'un génocide... \ favoriser toutes les formes de dons et d'échanges qui émancipent, enseignent et soignent...\ assumer mes incohérences...

[je veux pas faire l'impasse sur tous les débats possibles concernant le « autant qu'il est possible » j'admets volontiers que c'est aussi une question de temps... Par exemple j'utilise encore un ordinateur et du pétrole, je me rassure en me disant... « plus pour longtemps »]

et pour que je puisse me relier à tous-tes celleux qui ont une intention similaire, afin de nous allier pour être plus fort-es pour venir faire trembler les fondations de la réalité dominante je me dois de VISIBILISER un tant soit peu cette intention. (je me suis peut-être complètement égaré là je reviens à mon sujet... )

heu... l'esprit de légèreté ?

Je voulais dire pourquoi je ne veux pas non plus influer sur mes gamins , que de toute façon je le ferais quand même que je le veuille ou non, que du coup je souhaite que ce soit le moins lourd possible pour eux ! Je ne suis sûr de rien mais j'ai quand-même envie de vivre pleinement mes « volontés tâtonnantes » sans qu'elles pèsent sur les épaules de qui que ce soit !

Je crois que c'est cette question du poids des choses qui est fondamentale. je veux pas faire du Boris Cyrulnik et m'extasier devant « la résilience » (lire n'importe lequel de ses bouquins) mais je suis d'accord avec le fait que tout dépend de « comment on le vit ». Qu'il s'agisse de solitude ou de marginalité ou d'incohérence idéologique avec le monde tout dépend si on le vit légèrement ou lourdement et ceci est valable pour toute éducation, toute misère et toute souffrance et ceci est valable pour tout.

Ce qui devrait nous mettre à l'abri des généralités pour un temps...

Entre-nous :

tu n'es pas obligée de répondre aux questions débiles ! (...) . J'essaie là de dire ce qui m'inquiète, pour que ce soit clair entre nous, s'il te-plaît n'oublie pas que je t'aime :) d'ailleurs je crois que ça m'inquiète parce que ça me ressemble , argh !

J'ai l'impression que tu recherches parfois une certaine « normalité » de surface pour protéger ta sensibilité « marginales » et que, plus-que-tout, tu veux protéger ta fille de cette « marginalité » que tu as « subie » et qu' en même temps tu revendiques volontiers...

Les exigences révolutionnaires et les incohérences qu'elles induisent face « au monde extérieur » t'ont pesé lourd... Mais tu ne sembles pas vouloir déposer le fardeau , et à ta façon tu véhicules ces mêmes incohérences , cette même ambivalence (dont tu dis qu'elle « est très dure à comprendre et supporter pour un tout petit... », ce dont je doute personnellement ) Du coup j'ai peur que tu risques de le refiler à ta fille, non ? (dis-moi si t'as l'impression que je dis n'importe quoi. parce que la question de « qu'est-ce qu'on se transmet les un-es aux autres ? » au delà de nos microbes et de nos valeurs me paraît cruciale !)

Note : je crois que je viens de découvrir ce qui m'énerve: c'est pas que tu fasses des généralités , c'est que tu t'en serves pour parler de toi... tu fais exactement comme moi... et ça m'énerve

Impression: tu analyse certains éléments d'une certaine éducation issue de certaines expériences des années 60-70 et tu en tires des conclusions sur l' éducation de tous les enfants non pas à partir de ton propre vécu mais à partir du ressentiment et des inquiétudes qu'il t'en reste...

Hypothèse : ce n'est ni la solitude, ni la marginalité, ni les incohérences des adultes qui t'ont pesé c'est le serieux de tout cela en même temps. A la fois le sérieux que les grands t'accordaient et à la fois le serieux dont tu te sentais investi-e, petite fille écoutée par les grand-es.

autre hypothèse : c'est le fait que ce groupe ait « splité » qui a cristallisé tes doutes sur tout ce que ce groupe remettait en question, y compris le fait de remettre en question la vie sociale classique. S'ils avaient pas splité-s t'en serais où ? (c'est débile comme question)

a propos de la solitude:

Je me demande en fait dans quelle mesure la solitude que tu as ressentie à un moment de ta vie où tu avais besoin de partager ton expérience avec des pair-es constitue ou non l'axe principal de ton questionnement et comment le sentiment de l'avoir plus ou moins mal vécue oriente ou non ta critique et du coup tes choix de vie actuels... Tu dis que « ce facteur-là est sans doute responsable de la majeure partie de (t)es difficultés ».

Est-ce qu'il aurait suffit que tu ai des frères et soeurs, ou n'importe quel-le compagnon-ne du même âge ou presque pour que tu relativises le poids que les adultes te faisait porter ? Ou plutôt qu'est-ce qu'il aurait fallu (d'autres) pour que tu puisses vivre joyeusement ta différence et ta solitude ?